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recueilly une grande moiffon de fa terre, fe trouva en peine de cette abondance & difoit en luy-mefme: Que feray-je maintenant puisque les greniers me manquent, & que je ne fçay où ramaffer tous mes fruits? Il faut, dit-il, que j'abatte mes granges & que je les agrandiffe. J'y mettray enfuite tout ce que j'ay recueilly, & je diray à mon ame: O mon ame vous avez beaucoup de biens pour plufieurs années :: tenez-vous en repos; mangez, beuvez, faites bonne chere. Mais lors qu'il s'applaudiffoit de la forte, Dieu luy dit: Infenfé, on va vous ofter vostre ame cette nuit mefme: A qui donc feront ces grandsbiens que vous avez amaffez? JESUS-CHRIST veut que ceux qui font à luy travaillent à s'acquerir d'autres richeffes que celles qui fe perdent à la mort. Il veut qu'ils foient riches, mais des biens du Ciel, qui leur font aifément connoiftre la vanité de ceux de la terre, pour lesquels il leur défend d'avoir le moindre empreffement. Ce riche que JESUS-CHRIST appelle infente ne penfoit point à s'enrichir par des voyes injuftes. Sa folie n'eftoit qu'en ce qu'il fe mettoit en peine d'avoir des biens pour plufieurs années, & qu'il est tout d'un coup furpris de la mort. Ainfi. JESUS-CHRIST veut que nous arrestions dans nous le defir des chofes d'icy bas, par la veuë continuelle du moment auquel nous les devons quitter. Il n'y a rien que l'homme oublie tant que fa condition mortelle. Il n'y a prefque perfonne qui y penfe comme il faut, quoy que rien ne foit plus capable de nous faire renoncer à tout. J. C. qui en connoiffoit l'importance nous apprend icy que nous devons fans ceffe nous occuper de cette penfée; & c'est un des plus grands effets de l'humilité Chreftienne que de nourrir fon ame de la meditation de la mort, & de dire fouvent avec David: Les années eternelles ont. efté toute l'occupation de mon efprit..

L

Enfant prodigue. Luc. 15,

E Fils de Dieu qui avoit fouvent exhorté les La mê me hommes à la penitence, voulut encore leur aunéé 32. . montrer par diverfes paraboles, combien elle estoit agreable à Dieu & aux Anges. Car il propose tantost la joye d'un Pafteur qui a retrouvé enfin une brebis. qui s'eftoit égarée; tantoft la joye d'une femme qui aprés avoir long-temps cherché une piece de monnoye qu'elle avoit perdue, invite lors qu'elle l'a trouvée, fes voifines pour s'en réjouir avec elle. Mais la figure la plus touchante que le Sauveur nous ait donnée fur ce fujet, eft celle de l'Enfant prodigue. Un homme, dit-il, ayant deux fils, le plus jeune des deux pria fon pere de luy donner la part qu'il pou-. voit prétendre à fon heritage; & s'eftant retiré d'auprés de luy, il alla dans un païs éloigné où il confuma tout fon bien en vivant avec des femmes débauchées. Une grande famine estant enfuite furvenuë, il en fut fi preffé, que ne pouvant plus y refifter, il s'attacha au fervice d'un des habitans de ce pays-là, qui l'envoya dans une maison de campagne pour y paiftre les pourceaux. Sa mifere en cette occupation déplorable eftoit fi grande, qu'encore qu'il fouhaitaft avec paffion de manger de ce que les pourceaux mangeoient, perfonne neanmoins ne luy en donnoit. Eftant enfin rentré en luy-mesme, il dit dans un profond reffentiment de fon eftat: Helas combien de mercenaires ont maintenant du pain avec abondance dans la maifon de mon pere & moy je meurs icy de faim! Et dans ce mouvement violent, il quitta le lieu où il eftoit fi miferable, pour aller retrouver fon pere, & luy confeffer la faute quil avoit faite. Lors qu'il eftoit encore bien loin fon pere l'apperceut, eftant touché de compaffion, il courut

à luy & l'embraffa, ne rougiffant point de le reconnoiftre pour fon fils, & étouffant par la joye qu'il avoit de le poffeder, le reffentiment de l'injure qu'il luy avoit faite en fe féparant de luy. Ce jeune homme fentant alors plus vivement que jamais le mal qu'il avoit fait en quittant un fi bon pere, luy dit avec une profonde douleur: j'ay peché, mon pere, contre le Ciel & contre vous. Je ne fuis plus digne d'eftre appellé voftre fils. Mais ce pere charitable voulant au-contraire le rétablir dans la condition de fils, dont il fe reconnoiffoit fi indigne, commanda à fes ferviteurs de luy apporter fes premiers habits & fes anciens ornemens. Il ordonna enfuite qu'on tuaft le veau gras, & fit un feftin avec tant de réjoüiffance que fon fils aifné mefme s'en fafcha & luy en fit quelque reproche. Mais fon pere luy répondit: Qu'il eftoit bien jufte qu'il témoignaft de la joye puis que fon fils qui eftoit mort eftoit reffufcité. Il eft difficile, difent les faints Peres, de rien ajoûter à cette parabole, puis qu'elle s'explique elle-mefme d'une maniere fi vive. L'œily voit, & le cœur y reffent ce qui eft au-deffus de toutes paroles. Les marques d'une veritable converfion y font admirablement reprefentées. Cet Enfant voit fa mifere & la quitte. H retourne à fon pere & il s'abandonne à luy. Quittons de-mefme le peché & convertiffons-nous à Dieu du fond du cœur, & il n'aura pour nous que des entrailles de compaffion. Ayons de la douleur comme cet Enfant d'avoir abandonné la maifon de noftre pere, & tenons nous heureux d'y avoir esté receus de nouveau. Ainfi noftre penitence fera toûjours animée d'un regret meflé d'amour, & accompagnée. de paix & de joye.

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Le mauvais riche. Luc. 16.

année 32

JESUS-CHRIST ayant maudit les richeffes, ne s'eft La méme pas contenté des maledictions qu'il a prononcées contre les riches; mais il a voulu encore donner un exemple de leur eftat, qui doit faire trembler tous ceux qui ont quelque foy: Il y avoit, dit-il, un homme riche, vétu de pourpre & de fin lin, qui faifoit tous les jours bonne chere; & il y avoit un pauvre nommé Lazare, qui eftoit couché devant la porte du riche, tout plein d'ulceres & qui ne defiroit que les miettes qui tomboient de la table de ce riche, fans que perfonne les luy donnaft. Les chiens, comme pour confondre la cruauté de ce riche, venoient lécher les ulceres du Lazare qui fouffroit le bon office de ces animaux, pour nous apprendre à recevoir humblement les confolations que Dieu nous envoye, par qui que ce foit qu'il nous les donne. Mais Dieu voulant enfin couronner une patience fi perfeverante dans un eftat fi penible, & recompenfer une fermete qui avoit fouffert fans plainte, fans aigreur & fans murmure de fi indignes traitemens, tira le Lazare de ce monde, fon ame y ayant efté purifiée par le feu de la fouffrance, fut aprés fa mort portée par les Anges au sein d'Abraham. Le riche mourut aufli; mais fon eftat aprés fa mort fut auffi different de celuy du Lazare, qu'ils l'avoient efté durant leur vie. Car il fut condamné aux tourmens de l'enfer, où élevant les yeux en haut, il vit Abraham de loin & le Lazare dans fon fein. Il cria auffi-toft vers Abraham dans la douleur violente qu'il enduroit. Il le pria d'avoir pitié de luy, & d'envoyer le Lazare afin de tremper le bout de fon doigt dans l'eau & de luy rafraîchir la langue, parce qu'il eftoit horriblement brûlé de ccs flâmes. Abraham luy répondit qu'il fe fouvinst qu'il avoit

jouy des biens durant sa vie pendant que le Lazare fouffroit, & que maintenant le Lazare eftoit dans la joye pendant qu'il eftoit dans les tourmens. Le riche pria Abraham d'envoyer au moins le Lazare en la maifon de fon pere, afin d'avertir cinq freres qu'il y avoit, de prendre garde à eux, pour ne pas tomber en ce lieu de tourmens. Abraham luy répondit que fes freres avoient Moyfe & les Prophetes, & que s'ils ne les écoutoient pas, ils n'écouteroient pas non plus ceux qui feroient reffufcitez d'entre les morts. Cette parabole a deux faces bien diffentes. Tout eft admirable dans ce qui regarde le Lazare; & tout est étonnant dans ce qui regarde le mauvais riche. L'un eftoit veritablement heureux en paroiffant miferable; & s'il demandoit des confolations, ce n'eftoient que des miettes, pour mieux fouffrir fes maux enfuite, & non pour les finir. L'autre au-contraire eftoit veritablement miferable lors mefine qu'il paroiffoit heureux, & il trouva Abraham auffi ferme aprés fa mort à luy refufer les moindres confolations, qu'il avoit efté dur luy-mefme pendant fa vie à refufer au Lazare jufqu'aux miettes de fa table. Aprés cet exemple que JESUS-CHRIST mefine propofe, les vrais pauvres ne portent point d'envie aux riches. Ils en ont mefme une compaffion fecrette: & bien-loin de murmurer contre les riches & de fouhaiter leurs richeffes, ils beniffent leur pauvreté & la regardent comme un excellent moyen de fatisfaire à Dieu pour leurs pechez qu'ils ont toûjours devant leurs yeux, & qu'ils fentent comme le Lazare fentoit fes ulceres. Une pauvreté foufferte en ce monde de cette forte eft une fource de biens pour l'autre ; & les riches font bien malheureux s'ils ne mettent leur bonheur à secourir ces fortes de pauvres, puifque felon la parole de faint Bernard, les amis des pauvres font les amis des rois, & les pauvres volontaires font rois eux-mefmes..

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