Imagens das páginas
PDF
ePub

compagné de quatre cens hommes; & ayant fait demeurer derriere luy fes femmes & fes enfans, il marcha le premier devant Efau & s'abaiffa profondement devant luy par fept differentes fois: Efau adoucy de tant de foûmiflions, courut à Jacob & l'embraffa tres-étroitement. Il vit avec plaifir les enfans & les femmes que Dieu luy avoit données, & eut peine à recevoir les prefens qu'il luy avoit fait offrir. Comme ils vouloit achever enfemble ce qui reftoit du voyage, Jacob luy réprefenta la neceffité où il eftoit de marcher lentement, afin de s'accommoder au pas de fés enfans & à la foibleffe de fes troupeaux. Mais il le pria d'aller devant luy à Seïr, & l'affura qu'il iroit l'y trouver. C'eft ainfi qu'il évita la colere d'un frere qui avoit juré fa perte. Il ne s'arrefta point à confiderer fon innocence, & que c'eftoit Efaü qui eftoit coupable. Il effaça de fon cœur tous les reffentimens qu'il pouvoit avoir contre fon frere, & s'il eftoit fâché de fes emportemens, c'eftoit plus comme dit faint Ambroife, pour les interefts d'Esaü mefme, que pour les fiens propres. Il joignit la force avec la douleur, & fa foy s'élevant au déffus de tant de fujets qu'il avoit de craindre un ennemy qui paroiffoient irreconciliable, il porta un efprit de paix au milieu des armes & des gens de guerre, & demeura inébranlable dans le peril prefent d'une mort vifible. Mais enfin eftant devenu par fes foûmiffions victorieux de la fierté de fon frere, il fit voir que tout cede à la pieté, aprés qu'elle-mefme a cedé à la violence, & que Dieu qui regle avec une admirable fageffe la qualité & la durée des maux de ceux qu'il n'afflige que parce qu'il les aime, change en leurs faveurs, quand il luy plaift, les ennemis les plus déclarez, & amollit les cœurs les plus endurcis.

L

Dina. Genef. 34.

M. envi ron 2274. Avant

Dina

parem

1.5 ans

ors que Jacob fut revenu de la Mefopotamie, &pAn dư qu'il habitoit paisiblement dans Salem une ville des Sichimites, où il avoit acheté une terre, il luy Av furvint un accident qui luy causa beaucoup de dou-1710. leur. Dina fa fille eftant fortie pour aller voir les fem-eftoit ap mes de ce païs-là; Sichem qui en eftoit Roy l'ayant ment apperceuë, la prit de force & l'enleva, & fa paffion, âgée de pour elle augmentant de plus en plus, il dit à fon pere Hemor qu'il vouloit époufer cette fille. Jacob fut étrangement affligé; mais fes enfans diffimulant leur reffentiment, afin de s'en mieux vanger; ré-pondirent à Hemor & à Sichem fon fils, qui les vinrent prier d'agréer ce mariage, & de s'entredonner leurs fils & leurs filles, que cela ne fe pouvoit, parce qu'ils eftoient incirconcis; mais que s'ils vouloient fe circoncire, ils pourroient enfuite contracter ces alliances mutuelles. Hemor & Sichem ayant fait cet-te propofition à tout le peuple, ils y confentirent; & le troifiéme jour lors que la douleur de la circoncifion eftoit le plus fenfible, Simeon & Levi propres freres de Dina, qui eftoit fille de Lia leur mere, entrerent l'epée à la main fans rien dire à Jacob, dans la ville de Sichem, & tuerent tous les mafles qu'ils trouverent, fans épargner le Roy mefme ni fon fils, dont la paffion eftoit la premiere cause de ce carnage... Aprés cette fanglante execution les autres enfans » de Jacob vinrent dans la ville, la pillerent, & en remporterent le butin. Jacob fut eftrangement irrité de cette conduite, & fe plaignit hautement de Simeon & de Levi, de ce qu'ils l'avoient rendu odieuxdans ce païs-là par une perfidie fi horrible, & qu'abufant de la circoncifion pour fatisfaire leur vangeance ils l'avoient exposé à perir avec toute fa mai

Avant

J. C.. 7116.

fon. Comme il craignoit le reffentiment des peuples voifins, Dieu luy commanda d'aller en Bethel, où il luy avoit apparu lors qu'autrefois il fuyoit fon frere: Et l'Ecriture marque que Dieu jettoit la terreur dans toutes les villes par lefquelles il paffoit, afin que perfonne n'ofaft le pourfuivre. Peu de temps aprés L'An du qu'il y fut arrivé Rachel fa femme mourut en accouM1288. Chant de Benjamin, & presqu'au mefme temps Ifaac fon pere mourut auffi âgé de cent quatre-vingt ans. Il fut enfeveli par fes deux enfans Efau & Jacob, qui fe feparerent auffi-toft aprés, parce qu'ils eftoient trop riches pour pouvoir demeurer ensemble. Cette histoire de Dina a toûjours efté rapportée par les faints Peres comme un exemple fenfible, qui fait voir combien on doit éviter la curiofité, & prendre garde de ne fe point mefler avec des perfonnes eftrangeres. Mais faint Ambroife dit que fi tout le monde en doit tirer cette inftruction, les vierges chreftienfont encore bien plus obligées que les autres. La retraite, dit-il, et leur partage, & elles doivent fuir de voir ou de fe laiffer voir par les perfonnes du monde, parce qu'elles n'ont rien de commun avec le fiecle, & qu'elles ne doivent rien aimer de tout ce que les autres y aiment. Elles doivent craindre de tomber dans la curiofité de Dina, en voulant comme elle voir les femmes eftrangeres. qui vivent fouvent dans le chriftianifme mefme comme fi elles. eftoient payennes; & elles ne peuvent affez trembler lors qu'elles penfent aux fuites funeftes de la curiofité de cette jeune fille de feize ans, qui par cette veuë perdit fa virginité, jetta fes freres dans l'homicide, fut la perte de toute une ville, & contraignit fon pere de s'enfuir & de fe fauver d'un peril où il eust peri infailliblement avec toute fa famille, fi Dieu ne l'euft protegé par une affiftance miraculeufe..

nes y

Jofeph vendu. Genef. 37

avoit

ze ans aco

mençoit

17 an

2276.

J. C.

Douze

la mort

d'Ifaac, 9.

Jacob qui avoit évité la guerre des étrangers, en éprouva une domeftique quelque temps aprés, qui* Qui luy fut d'autant plus fenfible qu'elle luy venoit de fes alors fei enfans propres. Jofeph * fils de Rachel, le dernier des complis enfans que Jacob eut dans la Mefopotamie, accufa com fes freres devant fon pere d'un crime enorme que la!? l'Ecriture ne nomme pas. Cette accufation fi libre de du M. leur jeune frere, & l'amour particulier que fon pere Avant luy portoit, fit naiftre dans fes freres une envie fi 1728. grande qu'ils ne luy pouvoient dire une feule bonne ans avant parole. Mais elle s'augmenta encore beaucoup, lors a que Jofeph leur dit qu'il avoit eu deux fonges: Qu'en P'un il luy fembloit qu'ils lioient ensemble des javelles de blé dans le champ, que la fienne s'élevoit au deffus de celles de fes freres qui environnoient la fienne & qui l'adoroient. Que dans l'autre il luy fembloit voir que le foleil & la lune & onze étoiles l'adoroient. Ces deux fonges qui marquoient fon élevation futuré, exciterent dans les autres une colere étrange, dont Dieu fe fervit pour l'agrandiffement de celuy-là mefme qu'ils haïffoient. Ainfi quelque temps aprés, lors que Jacob leur eut envoyé Jofeph en Sichem; dés qu'ils l'apperceurent ils refolurent de le tuer. Ruben l'aîné de tous ne pût confentir à ce dessein détestable,. & couvrant la refolution qu'il avoit de le rendre à fon pere, il leur confeilla de ne point tremper leurs mains dans le fang de Jofeph, & de fe contenter de le jetter dans une cifterne qui eftoit fans eau, d'où il: efperoit enfuite de le retirer en fecret pour le rendre: à fon pere. Ils fuivirent cet avis, & defcendirent Jo-feph dans cette vieille cifterne; mais ils l'en retire-rent peu aprés pour le vendre à des marchands Ifmaë-lites qui pafferent par hazard par le même chemin où:

ils eftoient. Ils tremperent fa robe dans le fang d'un chevreau, & l'envoyerent à Jacob pour reconnoistre fice n'eftoit pas celle de Jofeph. Jacob la reconnut auffi-toft. Il déchira fes vétemens & pleura fon fils Jofeph, fans vouloir recevoir aucune confolation. Ainfi le petit Jofeph qui avoit préveu en fonge sa grandeur future, ne prévit pas fa captivité; & Dieu qui luy reveloit les chofes les plus relevées, ne luy découvrit point les maux qui eftoient prefts de fon dre fur luy. Il ceda pour un temps à l'envie de fes freres, pour eftre en ce point la figure de JESUSCHRIST, & la confolation de tous les bons, qui devoient dans toute la fuite des ficcles eftre expofez à l'envie des méchans & à la conspiration de leurs propres freres. La douleur de Jacob qui eftoit fi jufte, eft neanmoins, felon faint Ambroife, d'une grande inftruction à tous les peres. Car s'il pleure la mort d'un fils qu'il aimoit, il ne la pleure peut-estre que parce qu'il l'avoit trop aimé, & que cet amour exceffif avoit efté caufe de fa perte, puis qu'il avoit aigri contre Jofeph l'envie de fes autres freres. Il eft bon d'aimer fes enfans, dit ce faint Pere. Il eft juste mefme d'aimer davantage ceux qui ont plus de vertu; mais il eft dangereux de témoigner au dehors ce difcernement, qui peut nuire à celuy mefme qu'on aime par la colere des autres qui voyent qu'on le prefere à eux. On ne peut rien procurer de plus precieux à un enfant que l'amour de tous fes freres. Et il ne faut pas s'étonner, dit ce faint Pere, fi une terre ou quelque bien particulier qu'on donne à un fils. que l'on aime plus que les autres, excite l'envie de fes freres, puis qu'uue robe que Jacob donna à fon fils un peu plus belle que celle des autres, commença à exciter dans eux cette horrible averfion qui les porta jufqu'à devenir les meurtriers de leur frere, les plus moderez d'entre eux ayant contribué à luy faire perdre la liberté, de peur que les autres ne luy oftaffent la vie.

« AnteriorContinuar »