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Sennacherib qui lui fuccéda, & qui haiffoit étrangement tous les Juifs, fit Tobie redoubla le foin qu'il avoit de les confoler, fans les abandonner jamais durant leur vie ni après leur mort même, puifqu'il les enterroit contre la défense expresse du Roi, qui étant irrité de ce devoir de piété, envoya des gens pour tuer Tobie & pour confifquer tout fon bien. Il évita la colère de ce Prince en fe cachant, ce qui lui fut facile, parce qu'il avoit beaucoup d'amis; & la promte mort de Sennacherib, qui arriva fix femaines après, lui affura fa liberté, fes biens & fa vie. Le danger dont il venoit de fortit ne le rendit pas plus timide; & lorsqu'au milieu d'un feftin qu’une grande fête lui avoit permis de faire, où il avoit invité quelques perfonnes qui craignoient Dieu comme lui, on lui vint dire qu'un Juif venoit d'être tué, il fortit de table, alla enlever ce corps mort, & le cacha jufqu'à la nuit pour l'enfévelir furement. Tous fes amis blàmoient fa condufter A peine, difoient-ils, êtes-vous forti du péril de la mort, & vous vous y rejetez. Mais Tobie craignant plus Dieu que le Roi, ne laiffoit aucun mort fans l'enterrer, jusqu'à ce qu'étant un jour fatigué de ce travail fi faint, & se repofant au pié d'une murail le, il perdit la vue en dormant, par quelques ordures qui lui tombèrent fur les yeux d'un nid d'hirondelle. Il ne fut pointtroublé de cet accident, mais il demeura ferme dans la crainte du Seigneur malgré les infultes de fes proches & de fa femme même qui lui fit bien de la peine dans cet état. Car To bie ayant entendu chez lui un chevreau que fa femme avoit gagné par le travail de ses mains, lui dit qu'elle prît bien garde que ce chevreau n'eût été dérobé à quelqu'un; ce qui mit cette femme dans une telle colère, qu'elle lui dit avec aigreur, qu'on voyoit bien que toutes fes espérances avoient été vaines & combien fes aumônes étoient inutiles. Mais ni la pauvreté où il étoit réduit, ni l'aveuglement qu'il foufroit, ni les infultes de fes proches, ne purent ébranler tant-soit- -peu la fermeté de fa foi, qui le rendit immobile dans tous fes maux. Il offroit fans ceffe à Dieu fes prières & fes actions de graces. Il s'humilia fous sa main puissante. Il adora fá justice qui le châtioit pour n'avoir pas marché devant lui dans toute la fincérité & la droiture qu'il demandoit; & il devint, felon la' parole de l'Ecriture, un modèle de patience comme le bienheureux Job, & felon la remarque des faints Pères, un grand fujet de honte aux Chrétiens, qui ne peuvent faire, après les exemples de l'humilité de JESUS-CHRIST & des Saints, ce qu'a fait ce faint homme au milieu des idolâtres, parmi un peuple fi groffier, & avant la lumière de la loi nouvelle. L'Ange

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ans.

E faint homme Tobié, ayant été éprouvé en la maniè L'An at re que nous avons dit, pria Dieu, en reconnoiffant monde 3300 humblement la juftice de fes traitemens, de le tirer de bie ayant le jeune To cette vie & de finir tous fes maux. Comme il efpéroit que quelque 2 Dieu écouteroit fa prière, il appela le jeune Tobie fon fils pour lui donner avant fa mort les derniers avis, qui feront toujours la règle & l'abrégé de ce qu'un fagé père peut récommander à fes enfans durant fa vie & à fa mort. Après donc lui avoir ordonné d'honorer fa mère, quoique pauvre, de craindre Dieu, & de ne confentir jamais au péché, de faire toujours l'aumône felon le bien qu'il auroit, de n'avoir point des fentimens trop élevés de luimême, de ne faire jamais rien qu'avec le confeil d'une perfonne fage, & d'avoir toujours recours à la prière; il lui déclara que Gabélus lui devoit dix talens qu'il lui avoit autrefois prêtés. Ce faint homme, qui étoit réduit à une extrême pauvreté, n'avoit point ufé de violence pour fe faire payer de cette dette, quoiqu'elle fût fi jufte. Il n'en parle à fon fils que lorfqu'il fé croit près de mourir, parce qu'il ne crut pas le pouvoir fruftrer de cette partie de fa fucceffion, & lors même qu'il lui en parle, il ne lui die point, comme remarquent les faints Pères, qu'il fe fit payer

les intérêts de cette fomme qui étoit confidérable en ellemème, & que l'on devoit depuis long-tems. Le jeune Tobie écouta avec refpect tous ces avis d'un père qui n'étoit aveugle que dans le corps, & qui étoit fi éclairé dans l'ame. Il n'y eut que le paiement de cette dette qui l'embarraffa, parce qu'il ne connoîffoit point Gabélus, & ne favoit pas même où étoit la ville de Ragès où il demeuroit. Surquoi fon père lui ayant dit qu'il devoit chercher un guide pour le conduire, dès qu'il fut forti de fon logis, il trouva un jeune homme parfaitement beau, qui paroiffoit prêt à faire voyage. Le jeune Tobie ignorant

que ce fût T'Ange I e Raphael que Dieu lui avoit envoyé, lui demanda qui il étoit & où il alloit. Et ayant fu de lui, qu'il connoiffoit Gabélus, il le fit parler à fon père, qui l'engagea d'y mener fon fils, & lui promit de lui en donner une bonne récompenfe. L'Ange voilé fous l'apparence d'un homme, mena donc Tobie avec un foin qui a toujours été regardé depuis comme la figure du foin invifible que nos Anges gardiens prennent de nous, & comme le modèle du foin vifible avec lequel les Miniftres de Dieu veillent fur nos ames. Comme le jeune Tobie, après le premier jour de chemin, fe lavoit les piés dans le Tygre, il apperçut un poiffon monftrueux qui le venoit dévorer. Il s'écria auffi-tôt; & l'Ange lui dit de le prendre par les nageoires, & de le tirer fur le fable, où il mourut. L'Ange lui en fit mettre à part le cœur, le fiel & le foie; & en ayant fait rôtir la chair elle leur fervit pendant le voyage. Quelques jours après, approchant de Ragès ville des Mèdes, l'Ange dit à Tobie qu'il de voit aller loger chez Raguel fon parent qui avoit une fille unique qui lui étoit due en mariage. Le jeune Tobie trembla à cette parole, parce qu'il favoit que les fept maris qu'avoit déja eus cette fille, avoient été tués par un Démon, & qu'étant unique comme il étoit, fon père fe roit étrangement affligé fi le même accident lui arrivoit. Mais l'Ange l'ayant raffluré, & lui ayant dit que le Démon n'avoit eu ce pouvoir fur ces perfonnes, que parce qu'ils ufoient brutalement du mariage, il lui dit au- contraire la manière toute fainte dont il en devoit ufer, & lui donna des avis que les perfonnes que Dieu engage dans cet état, doivent confidérer avec un extrême foin, comme ayant été donnés aux hommes par un Ange mêmes

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L

E jeune Tobie étant entré avec l'Ange chez Raguel,

La même il le reçut avec joie, quoiqu'il ne le connût pas d'a- année 3300.

bord. Mais fachant après, que c'étoit le fils de Tobie, le fouvenir du père lui fit répandre des larmes, dans la vue du fils; & il lui prépara un grand feftin. Tobie lui protefta qu'il ne fe mettroit point à table, s'il ne lui accordoit auparavant Sara fa fille unique. Raguel fut faifi de crainte à cette parole. Quoique ce parti fut fi avantageux à fa fille, il appréhenda le malheur qui en pouroit arriver. Mais l'Ange l'affura que c'étoit à Tobie que Dieu réfervoit cette fille, & que les autres n'étoient morts que parce qu'ils n'étoient pas dignes d'elle. On fit done venir Sara qui avoit long-tems gémi devant Dieu de fon opprobre, qui la rendoit la fable du monde & de fes propres fervantes; & on les maria fur-l'heure, en leur fouhaitant toutes fortes de bénédictions, Après le feftin des noces, s'étant rétirés dans leur chambre, Tobie fe fouvint des avis de l'Ange, qui étoient de brûler le foie du poiffon qu'il avoit pris, pour chaffer le Démon, & de paffer les trois premières nuits de fon mariage en prières & en continence avec fa nouvelle épouse. Ce fut une heureufe nouvelle le lendemain pour Raguel, lorfqu'on l'affura que l'un & l'autre étoient

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pleins

pleins de vie; & il referma la foffe qu'il avoit déja préparée. Mais quelque fatisfaction que le jeune Tobie trouvât dans cette malfon, il ne perdoit point de vue celle de fon père; & l'Ange pour contribuer à l'y faire retourner plutôt, voulut bien fe charger du foin d'aller chez Gabélus pour lui redemander les dix talens qu'il devoit Tobie, & l'amener au feftin des noces du jeune Tobie. Enfin après avoir conjuré long-tems Raguel de lui permettre de s'en aller, il le lui permit, lui donnant la moitié de tout fon bien, & Sara fa fille, qu'il avertit dans les derniers adieux d'honorer fon beau-père & fa belle-mère, d'aimer fon mari, de régler fes domeftiques, de gouverner fa maifon, & de fe conferver irrépréhenfible dans toute la conduite de fa vie. Cependant la mère du jeune Tobie ne pouvoit autrement foulager la trifteffe qu'elle fentoit de l'abfence de fon fils, qu'en allant fur les avenues pour voir fi elle ne le découvriroit point de loin. Elle l'apperçut enfin lorfqu'il revenoit; & elle vint en grande hâte en avertir fon mari. Le jeune Tobie étant entré dans la maison, adora Dieu d'abord, felon l'avis de l'Ange, alla faluer fon père; & ayant froté fes yeux avec le fiel du poiffon qu'il avoit pris, il recouvra auffi-tôt la vue, Il lui dit tout ce qu'il lui étoit arrivé; & en étant comblé de joie,il penfa à reconnoître d'abord les bons offices de ce guide fi fidèle, en lui donnant la moitié de tout ce qu'on avoit apporté de chez Raguel. Le faint Ange Raphael crut alors que c'étoit le tems de leur découvrir qui il étoit; & après leur avoit dit qu'il étoit l'un des fept Anges qui font fans ceffe préfens devant Dieu, & les avoir raffurés de la frayeur qu'ils en eurent, il difparut à leur yeux, les laiffant profternés par terre durant trois heures. Tobie chanta enfuite un admirable cantique où il rend à Dieu fes actions de graces, & prédit les merveilles qu'il devoit accomplir dans fon Eglife. Ce faint homme fut aveugle durant quatre ans ; & il vécut depuis quarante - deux ans dans une très heureuse vieilleffe, après lefquels il mourut âgé de plus de cent ans, laiffant pour imitateur de sa piété le jeune Tobie, qui sera à tous les fiècles une image parfaite du respect & de l'obéiffance que les enfans doivent à leurs pères, & de la fainteté avec laquelle ils doivent vivre dans le mariage, en élevant leurs enfans avec tant de vigilance & de piété, qu'ils deviennent les imitateurs de la vertu de leurs pères.

Holo

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