appuyen Dieu; il usa ensuite de toute sa prudence naturelle, & crut qu'il devoit penser à fléchir son frere en quelque maniere que ce fust. Les presens luy parurent estre pour celala meilleure voye. C'est pourquoy separant une partie de ses troupeaux, il les fit marcher devant luy avec des distances égales, afin qu'Esau les rencontrant les uns aprés les autres, son esprit s'adoucist peu à peu par la veuë de tant de dons, & par la foûmission de ceux qui les luy offroient. Jacob ayant donné ces ordres lors qu'il devoit les executer le jour suivant, il eut sur la fin de la nuit une vifion d'un homme qui luita contre luy jusqu'au matin, & qui luy touchant le nerf de la cuisse la fit aussi-tost secher. Mais Jacob prenant de nouvelles forces d'une fi heureuse blessure, dit à celuy qui l'avoit blessé & qui vouloit se retirer, qu'il ne elaisseroit point aller qu'auparavant il ne l'eust beni. L'Ange luy demanda fon nom, & luy donna celuy d'Ifrael, qui depuis eft devenu fi fameux. Il l'assura que s'il avoit esté fort en combattant contre Dieu mesme, il ne devoit point craindre les hommes, & que son frere ne luy feroit aucun mal. Aufsi-tost aprés Jacob vit de loin Esau qui venoit à luy accompagné de quatre cens hommes; & ayant fait demeurer derriere luy ses femmes & fes enfans, il marcha le premier devant Efau & s'abaifsa profondement devant luy par sept differentes fois: Esau adoucy de tant de soumissions, courut à Jacob & l'embrassa trés-étroitement. Il vit avec plaifir les enfans & les femmes que Dieu luy avoit données, & eut peine à recevoir les presens qu'il luy avoit fait offrir. Comme ils vouloit achever ensemble ce qui restoit du voyage, Jacob luy répresenta la necessité où il estoit de marcher lentement, afin de s'accommoder au pas de ses enfans & à la foiblesse de ses troupeaux. Mais il le pria d'aller devant luy à Seïr, & l'affura qu'il iroit l'y trouver. C'est ainsi qu'il évita la colere d'un frere qui avoit juré sa perte. Il ne s'arrefta point à confiderer son innocence, & que c'estoit Esau qui estoit coupable. Il effaça de son cœur tous les ressentimens qu'il pouvoit avoir contre son frere, & s'il estoit fâché de ses emportemens, c'estoit plus comme dit saint Ambroise, pour les interests d'Esau mesme, que pour les siens propres. Il joignit la force avec la douleur, & sa foy s'êlevant au déssus dé tant de sujets qu'il avoit de craindre un ennemy qui paroiffoit irreconciliable, il porta un esprit de patx au milieu des armes & des gens de guerre, & demeura inébranlable dans le peril present d'une mort visible. Mais enfin estant devenu par ses soûmissions victorieux de la fierté de son frere, il fit voir que tout cede à la pieté, aprés qu'elle-mesme a cedé à la violence, & que Dieu qui regle avec une admirable sagesse la qualité & la durée des maux de ceux quil n'afflige que parce qu'il les aime, change en leur faveur, quand il luy plaift, les ennemis les plus déclarez, & amollit les cœurs les plus endurcis. Dina. Genef. 34 L'an du Lors que Jacob fut revenu de la Mefopotamie, & M.en- qu'i habitoit paisiblement dans Salem une ville viron des Sichimites, où il avoit acheté une terre, il luy Avant survint un accident qui luy caufa beaucoup de douJ.C. leur. Dina sa fille eftant fortie pour aller voir les femDina mes de ce païs-la; Sichem qui en estoit Roy l'ayant eftoit apperceue, la prit de force & l'enleva, & sa paffion, appa- pour elle augmentant de plus en plus, il dit à fon pere Hemor qu'il vouloit épouser cette fille. Jacob alors fut étrangement affligé; mais ses enfans diffimulant 15. ans leur reffentiment, afin de s'en mieux vanger; répondirent à Hemor & à Sichem son fils, qui les vinrent prier d'agréer ce mariage, & de s'entredonner leurs fils & leurs filles, que cela ne se pouvoit, parce qu'ils eftoient incirconcis; mais que s'ils vouloient fe circoncire, ils pourroient ensuite contracter ces allian 2274. 1710. rem ment ágee de & alliances mutuelles. Hemor & Sichem ayant fait cette propofition à tout le peuple, ils y consentirent; Propofitione que la douleur de la circoncision estoit le plus sensible, Simeon & Levi propres freres de Dina, qui estoit fille de Lia leur mere, entrerent l'epée à la main fans rien dire à Jacob, dans la ville de Sichem, & tuerent tous les masles qu'ils trouverent, sans épargner le Roy mesme ni fonfils, dont la passion estoit la premiere cause de ce carnage. Après cette sanglante execution les autres enfans de Jacob vinrent dans la ville, la pillerent, & en remporterent le butin. Jacob fut estrangement irrité de cette conduite, & se plaignit hautement de Simeon & de Levi, de ce qu'ils l'avoient rendu odieux dans ce païs-là par une perfidie si horrible, & qu'abusant de la circoncifion pour fatisfaire leur van geance ils l'avoient exposé à perir avec toute sa maifon. Commeil craignoit leressentiment des peuples voisins, Dieu luy commanda d'aller en Bethel, où il luy avoit apparu lors qu'autrefois il fuyoit fon frere: Et P'Ecriture marque que Dieu jettoit la terreur dans toutes les villes par lesquelles il passoit, afin que perfonne n'osast le poursuivre. Peu de temps aprés l'An qu'il fut arrivé Rachel sa femme mourut en accou-du M. chant de Benjamin, & presqu'au mesme temps Ifaac Avant fon pere mourut aussi âgé de cent quatre-vingt ans. J. C. Il fut enseveli par ses deux enfans Efaü & Jacob, qui 7116. se separerent aussi-tost aprés, parce qu'ils estoient trop riches pour pouvoir demeurer ensemble. Cette histoire de Dina a toûjours esté rapportée par les faints Peres comme un exemple sensible, qui fait voir combien on doit éviter la curiofité, & prendre garde de ne se point mesler avec des personnes estrangeres. Mais faint Ambroise dit que fi tout le monde en doit tirer cette instruction, les vierges chrestiennes y font encore bien plus obligées que les autres. La retraite, dit-il, est leur partage, & elles doivent fuir de voir ou de se laisser voir par les personnes du monde, parce qu'elles n'ont rien de commun avec le ficcle, & qu'elles ne doivent rien aimer de tout ce D4 que : i que les autres y aiment. Elles doivent craindre de tomber dans la curiosité de Dina, en voulant comme elle voir les femmes estrangeres, qui vivent souvent dans le christianisme mesme comme si elles estoient payennes; & elles ne peuvent assez trembler lors qu'elles pensent aux suites funestes de la curiosité de cette jeune fille de seize ans, qui par cette veuë perdit sa virginité, jetta ses freres dans l'homicide, fut la perte de toute une ville, & contreignit son pere de s'enfuir & de se sauver d'un peril où il eust peri infailliblement avec toute sa famille, si Dieu ne l'eust protegé par une assistance miraculeuse. i Joseph vendu. Genef. 37. J Acob qui avoit évité la guerre des étrangers, en va une domestique quelque temps aprés, qui luy fut d'autant plus sensible qu'elle luy venoit de ses en |