SUR LA LANGUE ET LA LITTÉRATURE PROVENÇALES. M Les travaux de M. Raynouard sont destinés à remplir une grande lacune dans l'histoire littéraire du moyen âge. Tout le monde parloit des Troubadours, et personne ne les connoissoit. Il falloit donc naturellement s'attendre à ce qui est arrivé : c'est qu'on en a parlé à tort et à travers. Mais bientôt les littérateurs qui entreprendront de traiter ce sujet si important pour les origines de la poésie moderne n'auront plus d'excuse, s'ils ne font pas mieux que leurs devanciers. Dans ces derniers temps, les efforts de plusieurs savans estimables ont contribué à éclaircir les antiquités de la langue et de la littérature françoises. Mais si quelques-uns, comme M. de Sainte-Palaye, se sont sérieusement occupés de la littérature provençale avant M. Raynouard, personne au moins n'a communiqué au public les résultats de ses : études. Un si long oubli est d'autant plus surprenant, que cette littérature doit intéresser non seulement les savans françois, mais aussi ceux d'Espagne et d'Italie 2, parce que plusieurs Troubadours célèbres sont nés dans leur pays, et que la poésie provençale, s'étant développée la première et ayant été fort répandue au dehors, n'a pu manquer d'avoir une grande influence sur la formation de la poésie espagnole et italienne. L'idiome provençal paroît avoir été parlé jadis dans quelques parties de l'Italie supérieure ; il existe encore comme langue vivante, sauf les altérations amenées par tant de siècles, en Catalogne, dans le royaume de Valence et dans les îles baléares, aussi bien que dans la France méridionale. M. Raynouard a commencé le premier à défricher ce champ inculte. La tâche qu'il a entreprise, à lui seul, est si vaste et si difficile, qu'on diroit qu'elle eût suffi pour occuper une réunion de plusieurs savans pendant un nombre considérable d'années. Mais ce n'est pas d'hier qu'il s'y est préparé : ce qu'il donne au public est mûri par une longue étude; tous ses matériaux sont prêts; et, avec l'activité qu'il met à son travail, on peut espérer de le voir avancer rapidement, et d'être bientôt en possession de l'ensemble qui offrira un cours complet de littérature provençale. Les écrits que nous avons sous les yeux servent d'introduction. Dans le premier, l'auteur remonte à l'origine de la langue romane, en rassemblant toutes les traces éparses qui nous en restent. Dans le second, il la saisit, pour ainsi dire, au moment même d'une formation plus régulière, et analyse les monumens les plus anciens conservés jusqu'à nos jours. Dans la grammaire enfin il développe les inflexions, les règles, les idiotismes de cette langue, telle qu'elle a été parlée et écrite à son époque la plus florissante, c'est-à-dire dans le douzième et le treizième siècle. Le second volume de ce recueil, sous le titre de Monumens de la langue romane, contiendra les plus anciens textes originaux, soit en vers, soit en prose, accompagnés d'une traduction et de notes. Dans le troisième, qui s'imprime actuellement, et qui paroîtra en même temps avec le second, seront réuniesles poésies amoureuses des Troubadours: dans la première moitié du quatrième, les sirventès et les tensons; en général, les pièces satiriques, politiques, morales et religieuses. La seconde moitié de ce volume renfermera les variantes, les vies des poètes, telles qu'elles se trouvent dans les manuscrits, et quelques morceaux que l'éditeur n'a pas jugé à propos de placer dans les recueils précédens. Dans le cinquième volume, un tableau comparatif des langues de l'Europe latine, et d'autres recherches philologiques serviront d'introduction à un glossaire de la langue romane, réservé pour les derniers volumes. L'érudition de M. Raynouard est aussi étendue que solide; mais ce qui est bien plus admirable encore, c'est la critique lumineuse, la méthode vraiment philosophique qu'il apporte dans toutes ses recherches. Il n'avance rien sans avoir les preuves à la main; il remonte toujours aux sources, et il les connoît toutes. C'est là le véritable moyen de résoudre les problèmes historiques des temps obscurs, et de couper court à tous ces raisonnemens vagues sur ce qui auroit pu être; raisonnemens fort commodes, sans doute, pour déguiser l'ignorance de l'historien, mais inutiles et même nuisibles au lecteur pour la connoissance de ce qui a été. Tous ceux qui ont eu la curiosité de fouiller euxmêmes dans les manuscrits provençaux, seront d'accord avec moi, j'en suis persuadé, sur les immenses difficultés que M. Raynouard a eues à vaincre. On est arrêté à chaque pas dans la lecture de ces manuscrits, par des traits indistincts ou à demi effa |