34 Voici des exemples. Ménage, à l'article Malotru, passe en revue plusieurs étymologies de ce mot, entre autres aussi la véritable, et puis il s'arrête à une fausse, male instructus; étymologie que M. Roquefort a répétée. On trouve, en vieux françois, malaustru; en provençal astrux, heureux ; malastrux, desastrux, malheureux. Ces mots viennent manifestement de astrosus, male astrosus, disastrosus, et rappellent les superstitions astrologiques, puisqu'ils signifient proprement: né sous une bonne ou mauvaise étoile. Le mot malotru étant d'un usage familier, s'est altéré; désastreux, n'employé que dans le style noble, a conservé la forme latine. Ménage dérive choisir de COLLIGERE. Il ne pouvoit pas plus mal deviner. Le mot dérivé de COLLIGERE est bien connu, c'est cueillir. On trouve dans le vieux françois chausir; dans le provençal également, mais aussi causir. Gauselm Faidit, d'après les deux manuscrits nos. 3204 et 7225 de la bibliothèque royale, dit: Mas sola lei, qu'amors m'a faig CAUSIR. Ce mot est théotisque. Ulfilas: KIUSAN OU KUSAN, eligere ; au prétérit, Kaus. Voyez les Glossaires de Junius et de Zahn. Cette racine se retrouve dans tous les anciens dialectes germaniques: en francique, KIUSAN, CHIUSAN; en anglo-saxon, CEOSAN, etc. L'éditeur du Dictionnaire de Ménage, Jault, a donné cette étymologie, mais sans citer les formes du mot choisir dans le vieux françois et dans le provençal, par lesquelles la chose est constatée jusqu'à l'évidence. Il est dommage que M. Roquefort, dans la partie étymologique de son Glossaire de la langue romane, ait pris pour guide Barbazan, dont le Glossaire, n'ayant pas été imprimé, se conserve en manuscrit à la bibliothèque de l'Arsenal. Ce savant vouloit dériver le françois exclusivement du latin. La thèse n'est pas soutenable, si l'on se borne au latin classique; si l'on comprend sous le nom de latin aussi le latin barbare, cela devient jusqu'à un certain point une dispute de mots; car la basse latinité fourmille de termes puisés dans les idiomes théotisques. Mais, à en juger d'après les citations de M. Roquefort, Barbazan ne savoit pas même se servir à propos du latin pour étayer son système, et manquoit absolument de tact étymologique. Ménage avoit une grande érudition; et cependant, sous le rapport particulier de son entreprise, ses connoissances étoient incomplètes. Il avoit une teinte des langues germaniques modernes; mais il n'en connoissoit pas les anciens dialectes, qui doivent être consultés de préférence: il étoit trèsversé dans les vieux livres françois des quinzième et seizième siècles; mais il n'étoit guère remonté au-delà; de son temps, on s'étoit encore peu appliqué à compulser les plus anciens manuscrits du moyen âge. Ménage avoit entièrement négligé les Troubadours : les citations peu nombreuses de vers provençaux dans la seconde édition de son dictionnaire sont dues à Caseneuve. La méthode de Ménage, de former des séries de mots imaginaires pour combler l'intervalle entre la prétendue racine et le mot dérivé, cette méthode est tout-à-fait inadmissible. On s'en est moqué avec raison; mais on n'a peut-être pas toujours rendu justice à la sagacité dont ce savant fait souvent preuve. Depuis nombre d'années, M. de Pougensa préparé un grand travail étymologique; et M. de Pougens possède beaucoup de connoissances qui manquoient à Ménage. Le Trésor des origines de la langue françoise, dont l'auteur a eu la bonté de me communiquer quelques articles en manuscrit, est presque un répertoire universel d'étymologie; car, d'une part, M. de Pougens rapporte les opinions de ses prédécesseurs; de l'autre, il ne s'arrête pas à la langue dont chaque mot françois est immédiatement dérivé : il remonte aux langues les plus anciennes dont nous ayons connoissance. L'évidence des étymologies vraiment historiques est peut-être compromise, si on les range sur la même ligne avec des étymologies hypothétiques, et qui se lient à des questions plus générales sur l'affiliation des langues. Toutefois la comparaison d'un grand nombre de langues entre elles offre souvent des rapprochemens curieux. L'entreprise de M. de Pougens est d'autant plus méritoire, qu'ayant eu le malheur de perdre la vue de bonne heure, il lui a fallu une persévérance et un amour de l'étude à toute épreuve pour achever un travail de cette espèce. 55 GRAMMAIRE ROMANE, P. 15. M. Raynouard donne comme des formes de l'article masculin au datif du singulier AL, EL, A LO; mais EL ne sauroit être admis dans cette classe, puisqu'il est contracté de EN EL, tandis que la préposition a est toujours la marque distinctive du datif. On a dit en vieux françois de la même manière ès au lieu de en les: ès jours, ès arts, etc. Cet el cause quelquefois de l'obscurité dans les Troubadours, puisque, dans l'ancienne manière d'écrire, il se confond avec Je nominatif. Je proposerois de le distinguer par l'orthographe: elpaïs, le pays, et é'l païs, dans le pays. P. 84. M. Raynouard donne SE comme le nominatif du pronom réciproque, et il le traduit par il, elle. Cela paroît contraire à toute analogie. Le pronom réciproque n'a point de nominatif, ni dans le latin, ni dans les langues qui en sont dérivées; ce pronom, de sa nature, ne peut en avoir, puisqu'il exprime toujours une réaction sur le sujet. Ce que M. Raynouard prend pour le nominatif, est à mon avis un véritable datif (le dativus commodi des grammairiens latins) employé par pléonasme, comme il l'est quelquefois en latin, et plus souvent en italien. Par exemple: si no'l se vol entendre. M. Raynouard traduit ici se par elle; je retraduirois littéralement en latin: si non illud SIBI vult intendere. J'en dis autant de ME, que M. Raynouard compte parmi les formes du nominatif du premier pronom personnel: IEU, EU, ME, MI, je, moi. MI est quelquefois mis comme substantif, ainsi que moi en françois; mais je n'ai point trouvé d'exemple où ME ne dût être rendu par le datif, en admettant le pléonasme. P. 91. M. Raynouard nomme pronoms affixes ME, MI, TE, TI, SE, SI, quand ils perdent leur voyelle. Ce nom ne me semble pas approprié à la chose. Les affixes sont attachés aux mots qui les précèdent par une relation grammaticale; mais ici la qualité du mot précédent est indifférente, et la liaison est purement euphonique. L'usage des élisions est si fréquent dans le provençal, que la voyelle des pronoms en question est souvent élidée, même quand le mot suivant commence par une consonne, pourvu que le mot précédent se termine par une voyelle: par exemple, NO-s' côVÊ, au lieu de NO SE CỐVÊ, il ne convient pas; de même vos se transforme en us, et nos en NS, pour être prononcé avec la voyelle précédente. Tout cela n'affecte pas la nature des pronoms, et auroit trouvé, ce me semble, plus naturellement sa place dans le chapitre des élisions. En passant en revue les particules de diverses espèces, M. Raynouard a oublié la plus célèbre de toutes, la particule affirmative oc, dont la langue provençale a pris le nom de langue d'oc. L'étymologie que Ménage donne de ce mot, est peu satisfaisante: il y a lieu à de nouveaux éclaircissemens. M. Raynouard, avec raison, n'entre pas dans des discussions étymologiques qui doivent être réservées pour le glossaire. Quelquefois, lorsque l'étymologie est évidente, il a mis le mot latin en regard, en distinguant les lettres élidées par des italiques. Cette méthode abrégée est fort à recommander. La préposition romane AB, qui signifie avec, et dont ce dernier mot paroît être formé, présente une singularité. Ayant un sens tout opposé à celui de la préposition latine AB, et des prépositions synonymes dans les langues germaniques (en gothique AF, en francique AB, ABA), elle ne sauroit en être dérivée. M. Raynouard dit, p. 250: « Il seroit difficile << d'expliquer d'où vient cette préposition. Ce qu'on peut dire « de plus satisfaisant, c'est que d'as, racine d'habere, la << langue romane a fait une préposition qui désigne la posses<< sion, l'adhérence, la manière, etc. » Il y a beaucoup d'exemples que des substantifs, des adjectifs, etc., soient devenus des prépositions; mais je n'en connois aucun où une préposition ait été formée de la racine d'un verbe, dépouillée des syllabes d'inflexion. Je pense que AB est contracté du latin Arud; il s'écrit quelquefois AP. On aura ensuite |