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chants, dis-je, il faut écouter les Troubadours euxmêmes, et s'efforcer de comprendre leur langage. Vous ne voulez pas vous donner cette peine? Eh bien, vous êtes condamné à lire les traductions de l'abbé Millot.

Deux grands poètes du quatorzième siècle, le Dante et Pétrarque, ont parlé des Troubadours avec une haute estime. La langue provençale leur étoit presque aussi familière que leur langue maternelle, surtout à Pétrarque, qui a passé une grande partie de sa vie dans la France méridionale. Les chants des Troubadours étoient encore animés alors par l'accompagnement de ces mêmes airs de musique pour lesquels ils avoient été composés primitivement, et qui faisoient ressortir l'harmonie de ces strophes si artistement tissues. Le Dante et Pétrarque n'étoient point, dans leurs poésies amoureuses, imitateurs des Troubadours, comme on l'a faussement prétendu à l'égard du dernier 4; ils étoient plutôt les rivaux de leur gloire. On ne sauroit attribuer non plus leur goût pour les Troubadours à cette prédilection qu'ont souvent les artistes pour leurs prédécesseurs dans le même genre, inférieurs en talent; car la poésie italienne, devenue adulte tout-à-coup par les créations du Dante et de Pétrarque, différoit dèslors de la poésie provençale autant par ses caractères essentiels que par les formes de la versification. Leur suffrage doit donc être d'un grand poids sous tous les rapports. Mais ces mêmes littérateurs qui, après avoir lu péniblement et mal compris trois ou quatre morceaux des Troubadours, ont porté contre eux des sentences rigoureuses, ne demanderont pas mieux que de nous défaire aussi l'éclat de ces immortels génies, et de déprécier la valeur de leurs productions sublimes. Il sera temps de discuter le mérite poétique des Troubadours, quand on pourra lire leurs œuvres principales dans une édition correcte et accompagnée de tout ce qui sert à en faciliter l'intelligence, telle enfin que M. Raynouard nousla promet. Mais les hommes instruits dans l'histoire tomberont d'accord que les poésies provençales contiennent un trésor de souvenirs nationaux. Quelques Troubadours sont les ancêtres de familles qui occupent encore aujourd'hui un rang distingué en Frances; d'autres appartiennent à des familles éteintes, mais jadis illustres et puissantes; plusieurs, comme Bertrand de Born et Folquet de Marseille, ont joué un rôle important dans les événemens politiques de leur temps; un grand nombre d'entre eux ont parlé de ces mêmes événemens dont ils furent les témoins, souvent peut-être avec une partialité passionnée, mais toujours avec une franchise énergique; tous

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fournissent des peintures vivantes des mœurs de leur siècle, soit à dessein dans leurs pièces morales et satiriques, soit à leur insu, par l'expression naïve de leurs sentimens et de leurs pensées. Ce qui décolore l'histoire du moyen âge, c'est que les chroniqueurs contemporains ont généralement écrit en latin. Or, il est presque impossible de transporter dans une langue morte et savante les traits individuels les plus caractéristiques. Tout ce qui nous est transmis dans les idiomes populaires de ce temps-là est donc fort précieux pour nous les faire connoître intimement: c'est comme si l'on entendoit les hommes marquans d'alors nous parler eux-mêmes. Ce qu'on appelle dans l'histoire l'esprit des temps, dit un auteur allemand, n'est d'ordinaire que l'esprit de l'écrivain moderne qui réfléchit une image altérée des siècles passés. Il n'a point encore paru en France d'historien qui ait su peindre le moyen âge d'une manière vraiment dramatique, c'est-à-dire en mettant en scène les hommes tels qu'ils étoient, entourés de l'atmosphère des idées alors dominantes, sans leur suggérer des motiss étrangers à leur nature, sans analyser leurs caractères par des réflexions banales soi-disant philosophiques, et sans vouloir arriver au secret de l'existence individuelle par le détour du raisonnement. Si cet histo

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rien se trouve, il saura tirer bon parti des matériaux que lui aura préparés le savant éditeur des Troubadours. Il y puisera les teintes locales les plus vraies et les plus frappantes de son tableau.

Quand même les poésies provençales ne contiendroient que quelques détails historiques, inconnus d'ailleurs, encore faudroit-il recourir aux textes originaux; car, dans tout ce qui doit servir de preuves en fait d'histoire, l'on ne sauroit se contenter de traductions. On s'est bien donné la peine d'imprimer avec une scrupuleuse exactitude, même de faire graver des diplomes écrits dans un latin barbare, et de les commenter amplement. Au moyen de ces diplomes, la critique historique a constaté des faits que l'on n'auroit pu découvrir par aucune autre voie. Les poésies provençales exigent une étude infiniment moins pénible, et offrent dans leur ensemble une récolte plus abondante de connoissances détaillées du moyen âge.

Ensuite l'étude de la langue provençale est trèscurieuse en elle-même, sous le triple rapport de la théorie générale des langues; de l'étymologie de la langue françoise et des autres idiomes dérivés du latin; enfin, de ses propres beautés et de ses qualités distinctives.

Le premier point de vue tient à un sujet si vaste, que je dois me borner ici à l'effleurer légè

rement.

Les langues qui sont parlées encore aujourd'hui et qui ont été parlées jadis chez les différens peuples de notre globe, se divisent en trois classes: les langues sans aucune structure grammaticale, les langues qui emploient des affixes, et les langues a inflexions 6.

Les langues de la première classe n'ont qu'une seule espèce de mots, incapables de recevoir aucun développement ni aucune modification. On pourroit dire que tous les mots y sont des racines, mais des racines stériles qui ne produisent ni plantes ni arbres. Il n'y a dans ces langues ni déclinaisons, ni conjugaisons, ni mots dérivés, ni mots composés autrement que par simple juxta-position, et toute la syntaxe consiste à placer les élémens inflexibles du langage les uns à côté des autres. De telles langues doivent présenter de grands obstacles au développement des facultés intellectuelles; leur donner une culture littéraire ou scientifique quelconque, semble être un tour de force; et si la langue chinoise présente ce phénomène, peut-être n'a-t-il pu être réalisé qu'à l'aide d'une écriture syllabique très-artificiellement compliquée, et qui supplée en quelque façon à la pauvreté primitive du langage.

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