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manière abstraite. Quelques portions du verbe substantif en françois, comme en italien et en espagnol, sont dérivées de cette racine 15. On a tort de ne parler que de verbes auxiliaires; il se trouve, dans les langues analytiques, des mots auxiliaires de plusieurs espèces, pronoms, prépositions, adverbes. A cet égard, la formation d'une nouvelle grammaire peut paroître ingénieuse; mais, d'un autre côté, elle trahit l'incapacité de comprendre tout ce que renfermoit un mot latin. On se croyoit obligé d'entasser plusieurs mots, quand un seul suffisoit pour exprimer la même idée. Au lieu d'ALIquis, on disoit aliquis-unus; au lieu de QUISQUE, QUISQUE-UNUS: ce qui s'est contracté ensuite en aucun, chacun; assez ne dit pas plus que SATIS; cependant il est formé de AD-SATIS: dedans signifie INTUS; mais il est formé de DE-DE-INTUS. Il y a une foule d'exemples de cette espèce, et qui ne laissent pas de sentir un peu la barbarie.

La langue romane étant le premier essai en son genre, s'est, sous plusieurs rapports, arrêtée à moitié chemin dans le passage de la grammaire synthétique à la grammaire analytique. On n'avoit pas encore appris à observer toutes les précautions nécessaires pour obtenir la même clarté que le latin doit aux inflexions, lorsque ces inflexions étoient ou

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tronquées ou omises. C'est là ce qui forme le caractère distinctif de la langue romane. Il en est résulté des avantages et des inconvéniens: cette langue est d'une brièveté étonnante; mais elle pèche quelquefois par l'obscurité.

La conjugaison ne marque plus aussi distinctement les personnes que dans le latin; cependant les pronoms personnels sont, la plupart du temps, supprimés dans la langue romane. L'article défini y est employé; mais l'article indéfini n'est encore guère d'usage. Souvent aussi des conjonctions, indispensables à la liaison des phrases dans les langues modernes, sont omises. Toutes les autres langues de même origine ont entièrement abandonné les déclinaisons latines, excepté dans quelques pronoms; elles n'ont conservé qu'une marque du pluriel pour les substantifs, une marque du genre et du nombre pour les adjectifs. La langue romane a sauvé un' reste, mais un reste très-imparfait de déclinaison. Au singulier, les substantifs se terminent en s au nominatif; dans les cas obliques, cet s est supprimé. Le nominatif du pluriel, au contraire, n'a point de s, et les cas obliques en ont un. L'ignorance de cette règle suffit pour engager dans des difficultés inextricables le lecteur des poésies provençales. On voit les mêmes mots écrits tantôt sans s , tantôt avec

uns, aussi bien au singulier qu'au pluriel; on ne sait point assigner de cause à cette variation, et l'on est constamment sujet à confondre les nombres entre eux et le régime avec le sujet. M. Raynouard a développé ce point de grammaire romane avec une grande précision, et en a expliqué l'origine d'une manière probable par l'analogie avec la seconde déclinaison latine. Toutefois cette règle n'étoit pas inconnue: Bastero, dans sa Crusca Provenzale, la donne d'après un ancien grammairien provençal, Ugon Faidit 16. Mais les littérateurs qui ont transcrit et imprimé quelques morceaux des Troubadours, paroissent en effet l'avoir ignorée 17.

On distinguoit donc en roman le régime du sujet par la désinence; mais, pour distinguer le régime direct du régime indirect, ou, pour me servir d'une expression plus connue, l'accusatif du génitif, du datif et de l'ablatif, on eut recours, comme dans les autres langues dérivées du latin, aux deux prépositions de et AD. Dans la langue romane cependant on n'a pas toujours senti la nécessité de la préposition de, et M. Raynouard a réuni quelques exemples de phrases où elle se trouve supprimée. Le texte roman si souvent commenté du serment de 842, prononcé par deux souverains carlovingiens et leurs peuples respectifs, commence par ces mots: Pro

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Deo amur, qui, retraduits en latin, signifient PRO DEI AMORE, pour l'amour de Dieu. Il paroît que très-anciennement on usoit aussi en françois de cette licence. J'en trouve un exemple dans le nom de la Féte-Dieu, FESTA DEI, nom qui est probablement resté sans altération, parce qu'il désignoit une chose sacrée.

Le futur des verbes dans la langue romane, aussi bien que dans les autres langues de la même famille, n'est pas dérivé du futur latin; il n'est pas simple comme il le paroît d'abord; M. Raynouard montre évidemment que dans toutes les conjugaisons il est régulièrement composé de l'infinitif du verbe, et du présent du verbe auxiliaire avoir. Dans les écrits provençaux, le verbe auxiliaire est encore assez fréquemment séparé du verbe principal par d'autres mots intercalés. Cette observation est originairement due à l'abbé Regnier, d'après lequel M. de SaintePalaye l'a citée 18. Voilà une déviation de la langue. mère dont l'uniformité est surprenante. Mais pourquoi le futur des langues romanes n'est-il pas dérivé du futur latin, comme les autres temps simples le sont de leurs temps correspondans? Je tâcherai de l'expliquer. D'abord par l'altération des désinences, le futur des deux premières conjugaisons, AMABO, DOCEBO, auroit été sujet à se confondre avec l'impar

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fait dérivé de AMABAM, DOCEBAM. Le futur de la troisième et de la quatrième conjugaison n'étant en latin qu'une nuance différente du présent du subjonctif, étoit exposé à la même ambiguité. Ensuite je pense que les peuples germaniques ne savoient pas s'approprier le futur simple des latins, parce que, par une bizarrerie extraordinaire, ils n'en avoient point dans leur propre langue. Ulfilas, et Notker encore, traduisent constamment les futurs qui se trouvent dans le texte de l'Évangile et des Psaumes, par le temps présent. Mais quelquefois ils ont essayé de former un futur composé avec l'infinitif et plusieurs verbes auxiliaires, entre autres celui d'avoir 19. L'allemand, le hollandois, l'anglois, et le reste des langues de cette famille, emploient aujourd'hui d'autres verbes auxiliaires pour former le futur. Ainsi c'est précisément le plus ancien germanisme qui s'est introduit dans tous les dialectes romans. Il y a plusieurs exemples de cela. Tout le système des négations en françois est un ancien idiotisme germanique. Le pronom personnel indéfini on, formé du substantif homme, en est un autre 20. Je remarque cela en passant, pour m'opposer à la thèse de M. Raynouard que la grammaire théotisque n'a exercé aucune influence sur les dialectes romans. Cela seroit croyable, si, comme il le suppose,

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