Imagens das páginas
PDF
ePub

tité de petits états indépendans. Ces analogies s'expliqueroient facilement, si l'on admettoit avec M. Raynouard que, pendant les premiers siècles, la langue populaire eût été partout la même. Mais nous avons vu quels faits et quels argumens s'opposent à cette hypothèse. Au reste, on n'a pas besoin d'y recourir. Les mêmes facultés, les mêmes besoins, agissant dans des circonstances pareilles, ont produit des grammaires analogues. Dans le choix des mots latins universellement conservés ou condamnés, dans l'altération de leur sens, on reconnoît souvent l'influence du clergé, d'une classe d'hommes qui, à peu près seuls, continuèrent pendant le moyen âge à parler et à écrire le latin régulier, et qui furent chargés de l'adapter au culte et à la législation 33.

L'utilité du provençal pour l'étymologie du françois est évidente. Si l'on veut découvrir l'origine obscure d'un mot, il faut examiner les diverses formes qu'il a prises dans la suite des siècles. L'on arrive ainsi au plus ancien françois. De là l'on doit passer à la langue romane, et souvent par la seule confrontation de la forme du mot dans cette langue, la question se trouvera résolue, parce que le provençal a beaucoup mieux conservé les lettres caractéristiques que le françois 34. S'il reste encore des doutes, il faut remonter plus haut, au latin barbare et aux idiomes théotisques. Je me borne ici à cette seule observation. Dans mon essai sur la formation de la langue françoise, je réfuterai les hypothèses exclusives qu'on a mises au jour sur l'étymologie du françois, et je tâcherai de poser pour cette étude des principes qui puissent lui assurer une marche historique, et la tirer des divagations conjecturales, causes du mépris où elle est tombée.

Si, par un autre concours d'événemens, par l'établissement du centre de la monarchie dans le midi, le provençal fût resté ou devenu la langue dominante en France; si cette belle langue se fût maintenue au même degré de faveur dont elle jouissoit autrefois, jusqu'à la renaissance des lettres et l'invention de l'imprimerie, et qu'elle eût reçu alors une culture plus savante, la littérature nationale eût pris un tout autre caractère. Le provençal du temps classique réunit, jusqu'à un certain point, la rapidité légère du françois avec les teintes chaudes et l'harmonie sonore des langues du midi. Sous le rapport musical, on pourroit désirer cependant qu'il y eût moins de monosyllabes et moins de consonnes finales. Si toutes les lettres écrites étoient prononcées, et elles l'étoient incontestablement, le provençal ne devoit pas être exempt de rudesse; mais c'étoit une langue flexible, et qui prêtoit beaucoup à l'har

monie imitative: on aperçoit une douceur insinuante dans les poésies amoureuses, et, d'autre part, dans les chants guerriers de Bertrand de Born, on croit entendre le fracas des armes. Arnaud Daniel a souvent fait exprès des vers durs, mais qui étonnent par la brièveté des sentences.

Un défaut du provençal qui lui est commun avec le françois, c'est l'abondance des homonymes. Peutêtre distinguoit-on en partie ces homonymes par des nuances de prononciation; et tout ce qui nous embarrasse dans la langue écrite, ne seroit alors qu'un vice de l'orthographe. Mais on ne sauroit rejeter sur l'orthographe le manque de fixité et une certaine fluctuation entre plusieurs formes du même mot, que l'on aperçoit dans le provençal; défaut des langues dont la formation n'est pas encore achevée. C'est un mal, pour une langue, d'être fixée à un point qui mette obstacle à tout développement ultérieur; mais quand elle n'est pas suffisamment fixée dans la partie élémentaire, il en résulte d'autres inconvéniens. Ces petits mots de liaison qui remplissent les intervalles entre les mots essentiels, doivent attirer l'attention le moins possible: or, s'ils varient sans cesse, ils vous distraient; il est donc utile qu'ils soient toujours les mêmes. Mais, dans le provençal, il y a trois ou quatre formes différentes, quelquefois davantage, pour les articles, les pronoms personnels et possessifs, et une foule de particules qui reviennent à chaque instant. Les anomalies des verbes aussi sont très-grandes. On ne sauroit blâmer une langue d'avoir un certain nombre de verbes anomales: trop de régularité deviendroit monotone. Cependant il suffit bien d'une seule anomalie pour chaque flexion d'un verbe; en provençal, on trouve assez souvent deux ou trois manières différentes, toutes anomales, de former la même personne du même temps. Cette multiplicité superflue rend une langue plus difficile à apprendre, sans que la peine soit rachetée par une véritable perfection. Le seul avantage qui en résulte, est la facilité de la versification: aussi les Troubadours ont-ils exécuté des tours de force en ce genre, qu'on imiteroit difficile ment dans aucune autre langue.

M. Raynouard, en composant sa grammaire, ne s'est nulle part appuyé de l'autorité des anciens grammairiens provençaux: il prouve toutes les règles par les textes originaux du temps classique, et elles en ont d'autant plus d'authenticité. Il seroit cependant curieux de connoître comment on envisageoit, du temps même des Troubadours, la théorie de leur langue et la partie grammaticale de l'art poétique. Les passages que Bastero allègue du Donatus provincialis d'Ugo Faidit et de l'Art de bien trouver de Raimond Vidal, ne m'en donnent pas une trop mauvaise idée. Ces écrits sont assez courts: ils mériteroient peut-être que l'éditeur des Troubadours leur accordât une place parmi les vieux morceaux en prose qu'il va publier.

Par le seul fait de la grammaire de M. Raynouard, l'étude de la littérature provençale est déjà plus avancée maintenant que celle de l'ancienne poésie françoise; car il n'existe point de grammaire du françois tel qu'on l'écrivoit au treizième siècle : M. Raynouard seroit plus en état de la donner que personne.

Je n'ai trouvé d'objections à faire que sur quelques points de détail 35. Dans le plan général de la grammaire, il me semble qu'on auroit pu désirer un chapitre sur la prononciation et l'orthographe; mais M. Raynouard se propose de publier un traité sur la versification, à laquelle ces deux sujets sont liés de près: ainsi, cette omission pourra être facilement réparée.

Bastero a traité de la prononciation, mais d'une manière confuse et diffuse, comme de tout le reste. Il embrouille une matière simple en s'obstinant à comparer la prononciation provençale avec la prononciation toscane. La méthode la plus facile de dé

« AnteriorContinuar »