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se contentassent de confier leurs poésies à la mémoire, il me paroît incontestable qu'ils ont connu l'art de l'écriture avant l'invasion de l'empire romain. On trouve dans leurs langues des expressions originales relatives à cet art, tandis qu'ils auroient appris le nom avec la chose, si les Grecs et les Romains avoient été leurs premiers maîtres. L'alphabet d'Ulfilas semble être composé de caractères grecs, latins et runiques. Un poète, qui a écrit vers la fin du sixième siècle, Venantius Fortunatus, dit :

Barbara fraxineis pingatur RUNA tabellis.

Fortunatus étoit né en Italie, et devint évêque en France: il ne pouvoit guère avoir en vue d'autres peuples que les Goths ou les Francs. Or, à cette époque, les Goths, aussi bien ceux d'Italie que ceux d'Espagne, se servoient généralement du caractère d'Ulfilas. Ainsi, ce que dit Fortunatus de l'usage des runes se rapporte probablement aux Francs. Dans l'exorde du plus ancien texte de la loi salique, il est dit clairement que quatre législateurs, élus par la nation, l'ont décrétée dans les temps antérieurs à la conversion des Francs. Un savant historien, Adrien de Valois (RER. FRANCIC. Lib. III, p. 119), a vainement attaqué l'authenticité de cet exorde. Une grande partie de la loi salique consiste en chiffres qui servent à déterminer les amendes pour chaque délit. Comment une telle loi auroit-elle pu être transmise par la tradition orale? Elle étoit donc écrite, sans doute en caractères runiques, avant la conquête des Gaules; et le texte que nous avons est une traduction de cet original, faite, comme on le voit au premier coup d'œil, par un Franc qui avoit très - mal appris le latin.

Il paroît que, dans la suite, les prêtres chrétiens ont proscrit les runes comme servant aux superstitions païennes.

15 Cassiodore (Liv. II, epist. 42) écrit à Clovis au nom de son maître: Citharædum etiam, arte sua doctum, pariter destinavimus expetitum, qui ore manibusque consona voce cantando, gloriam vestræ potestatis oblectet: quem ideo fore credimus gratum, quia ad vos eum judicastis magnopere dirigendum.

Je n'accumulerai pas ici les témoignages qui prouvent, à commencer par celui de Tacite, combien les peuples germaniques aimoient de tout temps la poésie, surtout la poésie héroïque, qui leur retraçoit les exploits de leurs ancêtres. Il est surprenant de voir jusqu'à quelle distance de temps et de lieux des souvenirs nationaux se sont propagés. Ermanaric, roi des Goths au quatrième siècle, après avoir conquis un vaste empire entre la mer Noire et la mer Baltique, périt à un âge fort avancé dans l'invasion des Huns: il se tua de désespoir de ne pas pouvoir leur résister. Sa fin tragique devint le sujet d'un poème qui se chantoit en Allemagne encore dans le treizième siècle. Ce récit a trouvé son chemin jusqu'en Islande, et on le retrouve parmi les merveilles gigantesques de l'Edda. La gloire de Théodoric-le-Grand a été célébrée sous le nom de Dieteric de Berne; au seizième siècle encore, ce nom vivoit en Allemagne dans la bouche du peuple. Nos paysans, en suivant la charrue, chantoient les combats de Dieteric contre les géans; et c'est sans doute pour se conformer aux idées du temps, qu'on a placé la statue de ce héros, redevenu fabuleux, auprès du tombeau de l'empereur Maximilien, parmi celles de ses illustres ancêtres.

Les textes originaux de tant de compositions héroïques sont perdus, malgré le soin que Charlemagne prit de leur conservation : mais nous pouvons indiquer encore en grande partie les sujets que nos anciens chantres y avoient traités. La fiction s'est introduite dans l'histoire : Jornandes et Paulus Diaconus sont remplis de récits puisés dans les poésies nationales. Les savans modernes souvent n'ont su dire autre chose, sinon que tel ou tel événement, rapporté par un historien du moyen âge, est fabuleux et contraire aux faits constatés. Il falloit expliquer comment des historiens qui, presque toujours, font preuve de bonne foi et quelquefois de bon sens, ont pu raconter des choses aussi incroyables. Le mot de l'énigme est que les récits en question sont des extraits de poésies populaires en mauvaise prose latine. L'historien étoit imbu de l'opinion de ses compatriotes, qui croyoient tout de bon aux fictions héroïques, dans lesquelles il y avoit en effet un fond de vérité.

Cette observation n'est pas étrangère à l'ancienne histoire de France. On trouve même dans Grégoire de Tours quelques-uns de ces récits poétiqnes; on en trouve un plus grand nombre dans Frédegaire. Toute la narration de la conquête du royaume de Thuringe par Théodoric I, roi d'Austrasie, telle que Witichind, historien saxon du dixième siècle, la donne, est tirée d'un poëme épique.

14 On suppose d'ordinaire que les Vandales ont peu séjourné en Espagne; et l'on considère cette nation comme entièrement éteinte après la défaite de Gelimer. S'il en eût été ainsi, comment les Arabes, lors de leur invasion, eussent-ils nommé toute l'Espagne Andalousie, d'après le nom des Vandales? Il est donc probable qu'une partie des Vandales est restée en Espagne lorsque leurs compatriotes passèrent en Afrique; peut-être aussi les restes des Vandales africains repassèrent-ils la mer après la destruction de leur empire par Bélisaire. Les écrivains anglo-saxons et nos poètes du moyen âge appellent souvent la mer Méditerranée Wendil-see, la mer des Vandales.

C'est aussi une erreur de croire que les Goths d'Italie aient été exterminés ou expulsés après les victoires de Bélisaire et de Narsès; ils ont toujours continué d'habiter le pays, quoiqu'ils eussent cessé d'y être la nation dominante. La même remarque s'applique aux Ostrogoths en Provence, aux Visigoths dans le Languedoc; ils sont demeurés en France, lorsque les rois des Francs avoient étendu leur domination jusqu'aux Alpes et aux Pyrénées.

Les Bourguignons parloient à peu près le même dialecte que les Goths. Ces deux peuples étoient répandus dans la moitié des Gaules: ainsi, la langue gothique doit être principalement consultée sur l'étymologie du françois. Plusieurs mots de la langue romane et même du françois moderne sont du gothique pur, sans compter les noms propres restés en usage et altérés seulement dans la prononciation.

15 Cette double dérivation du verbe substantif est frappante dans l'italien stava, stato, etc. Dans le françois, elle est plus obscurcie par les contractions: cependant étre, étois, été (anciennement estre, estois, esté), ne viennent pas de ESSE, mais de STARE. Il n'est pas rare de voir que le verbe substantif s'étant trouvé défectif, on ait eu recours à deux racines différentes pour en compléter les temps et les modes. Il en est ainsi dans le latin et dans l'allemand. Mais c'est un trait particulier à la langue romane d'avoir deux verbes substantifs complets, l'un dérivé de ESSE, et l'autre de STARE.

16 BASTERO CRUSCA PROV. p. 139 et 140. « E non se pot conos« ser ni triar l' accusatius del nominatiu, sinò que per sò, que

'l nominatius singulars, quan es masculis, vol S en la fin; « e li altri cas no'l volen. E'l nominatius plurals no'l vol, e « tuit li autre cas volen lo en lo plural. » Viennent ensuite les exceptions qui sont assez bien indiquées, quoique en abrégé. Raimond Vidal enseigne la même règle dans son Art de la poésie provençale. M. Raynouard parle (GRAMм. Ком. р. 9) de ces deux écrits, et indique comme le seul manuscrit connu du premier, du DONATUS PROVINCIALIS, celui qu'on voit à la bibliothèque Laurenziana. J'en ai trouvé un autre plus moderne dans la bibliothèque Ambrosiana à Milan.

"Une strophe de la fameuse chanson que le roi Richard Cœur-de-Lion composa dans sa captivité, m'en fournit un exemple :

Or sápchon ben miei hom e miei baron,
Englès, Norman, Peytavin e Gascon,
Qu' ieu non ai ja si paubre companhon,
Que per aver lo laissès en prison.

Tous les éditeurs, à commencer par Jean de Notre-Dame jusqu'à MM. Ginguené et Sismondi inclusivement, ont fait imprimer les premiers vers de la manière suivante:

Or sapchon ben mos homs el mos barons
Englès, Normans, Peytavins et Gascons.

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