dont la plupart n'ont jamais été écrits, et ne peuvent être appris que sur les lieux où ils sont indigènes. Après treize siècles révolus depuis la chute de l'empire occidental, ces idiomes divers ont encore conservé une affinité étonnante, parce qu'ils ont été formés partout à peu près avec les mêmes matériaux, et d'après une méthode analogue. Mais la conformité a dû être plus grande dans les premiers temps, puisque les variations ont été produites par des causes locales, dont l'action s'est accumulée avec les siècles. On ne s'étonne point de voir les dialectes passer par gradations nuancées les uns dans les autres; mais quelquefois la ligne de démarcation est tranchée: en Italie surtout on trouve souvent un jargon informe tout à côté d'un langage élégant. Cela est difficile à expliquer, faute de données historiques suffisantes : nous ignorons avec quel degré de pureté le latin se parloit dans les différentes provinces de l'empire, dans quelle proportion la masse des conquérans barbares s'est distribuée dans le pays, et à quel point ils ont vécu séparés, ou entremêlés avec les anciens habitans 31. D'ailleurs les conquérans germaniques ne sont pas les seuls étrangers survenus. Pendant le déclin de l'empire romain, beaucoup de colonies de différentes nations y ont été établies, pour repeupler des contrées devenues désertes par l'effet des invasions 32. D'autres colonies ont été admises depuis la conquête. Constantin-le-Grand établit dans les provinces de l'empire 300,000 Sarmates réfugiés auprès de lui, dont une partie cultivoit du temps d'Ausone des champs aux environs de Saverne en Alsace. Un village du Poitou, Tifauge, conserve le nom des Taifaliens, peuple probablement tartare, venu du fond de l'Asie. Childebert III a fait une ordonnance relativement aux Saxons qui venoient à la foire de Saint-Denis. Ces Saxons demeuroient aux environs de Bayeux et de Nantes. Un prince lombard de Bénévent a reçu une colonie de 60,000 Bulgares dans sa principauté. La population des pays de l'Europe latine est infiniment plus mélangée, la généalogie des nations infiniment plus compliquée, qu'on ne l'imagine d'ordinaire. Les différences des langues dérivées du latin peuvent se réduire à quelques points principaux : l'altération des sons, les formes grammaticales, le choix des mots latins, latins-barbares, théotisques et autres qui sont restés en usage, enfin la manière dont les mots tirés du latin classique ont été détournés de leur sens primitif. Rien de tout cela n'est dû au hasard; et si l'on savoit assigner à ces variations leurs véritables causes, nous connoîtrions l'histoire des peuples, leur vie privée dans les temps passés, bien autrement que les livres d'histoire ne peuvent nous l'apprendre. L'altération des consonnes et des voyelles dont se composent les mots latins, tient en grande partie à la prononciation, et la prononciation est soumise aux influences climatiques. Ces influences se conçoivent fort bien en théorie, mais elles nous échappent quand nous essayons de les détailler. On sait que les montagnards ont, en général, un accent plus rude que les habitans des plaines et des côtes. Mais comment expliquer, par exemple, les ressemblances le dialecte de Gènes offre avec le porque tugais, et qu'on ne sauroit attribuer assurément ni à la communication des peuples ni à l'imitation réciproque? Ce qui fait contraster davantage entre elles les langues latines mixtes, c'est précisément le matériel des mots : le choix et la combinaison des consonnes et des voyelles qui souvent paroissent être les mêmes dans l'écriture, et different pourtant à l'oreille; la prédilection pour certains sons, la prosodie et l'accent. Les analogies dans tout le reste sont d'autant plus surprenantes que, depuis le renversement de l'empire romain, l'Europe occidentale et méridionale n'a jamais formé une seule monarchie; qu'elle a été, au contraire, morcelée en une quan 1 tité de petits états indépendans. Ces analogies s'expliqueroient facilement, si l'on admettoit avec M. Raynouard que, pendant les premiers siècles, la langue populaire eût été partout la même. Mais nous avons vu quels faits et quels argumens s'opposent à celle hypothèse. Au reste, on n'a pas besoin d'y recourir. Les mêmes facultés, les mêmes besoins, agissant dans des circonstances pareilles, ont produit des grammaires analogues. Dans le choix des mots latins universellement conservés ou condamnés, dans l'altération de leur sens, on reconnoît souvent l'influence du clergé, d'une classe d'hommes qui, à peu près seuls, continuèrent pendant le moyen âge à parler et à écrire le latin régulier, et qui furent chargés de l'adapter au culte et à la législation 33. L'utilité du provençal pour l'étymologie du françois est évidente. Si l'on veut découvrir l'origine obscure d'un mot, il faut examiner les diverses formes qu'il a prises dans la suite des siècles. L'on arrive ainsi au plus ancien françois. De là l'on doit passer à la langue romane, et souvent par la seule confrontation de la forme du mot dans cette langue, la question se trouvera résolue, parce que le provençal a beaucoup mieux conservé les lettres caractéristiques le françois 34. S'il reste encore des doutes, il faut remonter plus haut, au latin barbare et aux que idiomes théotisques. Je me borne ici à cette seule observation. Dans mon essai sur la formation de la langue françoise, je réfuterai les hypothèses exclusives qu'on a mises au jour sur l'étymologie du françois, et je tâcherai de poser pour cette étude des principes qui puissent lui assurer une marche historique, et la tirer des divagations conjecturales, causes du mépris où elle est tombée. Si, , par un autre concours d'événemens, par l'établissement du centre de la monarchie dans le midi, le provençal fût resté ou devenu la langue dominante en France; si cette belle langue se fût maintenue au même degré de faveur dont elle jouissoit autrefois, jusqu'à la renaissance des lettres et l'invention de l'imprimerie, et qu'elle eût reçu alors une culture plus savante, la littérature nationale eût pris un tout autre caractère. Le provençal du temps classique réunit, jusqu'à un certain point, la rapidité légère du françois avec les teintes chaudes et l'harmonie sonore des langues du midi. Sous le rapport musical, on pourroit désirer cependant qu'il y eût moins de monosyllabes et moins de consonnes finales. Si toutes les lettres écrites étoient prononcées, et elles l'étoient incontestablement, le provençal ne devoit pas être exempt de rudesse ; mais c'étoit une langue flexible, et qui prêtoit beaucoup à l'har |