monie imitative on aperçoit une douceur insinuante dans les poésies amoureuses, et, d'autre part, dans les chants guerriers de Bertrand de Born, on croit entendre le fracas des armes. Arnaud Daniel a souvent fait exprès des vers durs, mais qui étonnent par la brièveté des sentences. Un défaut du provençal qui lui est commun avec le françois, c'est l'abondance des homonymes. Peutêtre distinguoit-on en partie ces homonymes par des nuances de prononciation; et tout ce qui nous embarrasse dans la langue écrite, ne seroit alors qu'un vice de l'orthographe. Mais on ne sauroit rejeter sur l'orthographe le manque de fixité et une certaine fluctuation entre plusieurs formes du même mot, que l'on aperçoit dans le provençal; défaut des langues dont la formation n'est pas encore achevée. C'est un mal, pour une langue, d'être fixée à un point qui mette obstacle à tout développement ulté– rieur; mais quand elle n'est pas suffisamment fixée dans la partie élémentaire, il en résulte d'autres inconvéniens. Ces petits mots de liaison qui remplissent les intervalles entre les mots essentiels, doivent attirer l'attention le moins possible: or, s'ils varient sans cesse, ils vous distraient; il est donc utile qu'ils soient toujours les mêmes. Mais, dans le provençal, il y a trois ou quatre formes différentes, quelquefois davantage, pour les articles, les pronoms personnels et possessifs, et une foule de particules qui reviennent à chaque instant. Les anomalies des verbes aussi sont très-grandes. On ne sauroit blâmer une langue d'avoir un certain nombre de verbes anomales trop de régularité deviendroit monotone. Cependant il suffit bien d'une seule anomalie pour chaque flexion d'un verbe; en provençal, on trouve assez souvent deux ou trois manières différentes, toutes anomales, de former la même personne du même temps. Cette multiplicité superflue rend une langue plus difficile à apprendre, sans que la peine soit rachetée par une véritable perfection. Le seul avantage qui en résulte, est la facilité de la versification: aussi les Troubadours ont-ils exécuté des tours de force en ce genre, qu'on imiteroit difficile ment dans aucune autre langue. M. Raynouard, en composant sa grammaire, ne s'est nulle part appuyé de l'autorité des anciens grammairiens provençaux: il prouve toutes les règles par les textes originaux du temps classique, et elles en ont d'autant plus d'authenticité. Il seroit cependant curieux de connoître comment on envisageoit, du temps même des Troubadours, la théorie de leur langue et la partie grammaticale de l'art poétique. Les passages que Bastero allègue du Do natus provincialis d'Ugo Faidit et de l'Art de bien trouver de Raimond Vidal, ne m'en donnent pas une trop mauvaise idée. Ces écrits sont assez courts: ils mériteroient peut-être que l'éditeur des Troubadours - leur accordât une place parmi les vieux morceaux en prose qu'il va publier. Par le seul fait de la grammaire de M. Raynouard, l'étude de la littérature provençale est déjà plus avancée maintenant que celle de l'ancienne poésie françoise; car il n'existe point de grammaire du françois tel qu'on l'écrivoit au treizième siècle : M. Raynouard seroit plus en état de la donner que personne. Je n'ai trouvé d'objections à faire que sur quelques points de détail 35. Dans le plan général de la grammaire, il me semble qu'on auroit pu désirer un chapitre sur la prononciation et l'orthographe; mais M. Raynouard se propose de publier un traité sur la versification, à laquelle ces deux sujets sont liés de près: ainsi, cette omission pourra être facilement réparée. Bastero a traité de la prononciation, mais d'une manière confuse et diffuse, comme de tout le reste. Il embrouille une matière simple en s'obstinant à comparer la prononciation provençale avec la prononciation toscane. La méthode la plus facile de dé finir les sons qu'expriment les lettres, soit simples, soit composées, est d'indiquer leurs équivalens dans plusieurs autres langues dont la prononciation est connue. Les lecteurs de la grammaire romane, aussi bien les étrangers, que les François des provinces septentrionales qui n'ont point séjourné dans le midi, pourroient être induits en erreur en jugeant la prononciation du provençal d'après celle du françois moderne. M. Raynouard rapporte en partie les variations. de l'orthographe dans les manuscrits des Troubadours, aux diversités de la prononciation, qu'il suppose avoir eu lieu dans les différentes provinces. J'objecte à cela que ces manières différentes d'écrire le même mot se rencontrent souvent non seulement dans le même manuscrit, mais aussi dans la même pièce de vers. Je distingue deux espèces de variations dans l'orthographe. Quelques-unes marquent en effet des prononciations différentes ; je crois cependant que ces différences n'étoient pas locales, mais admises partout où l'on parloit la même langue, et je les attribue à cette fluctuation dans les formes du provençal, dont je viens de parler. Ainsi, le même poète disoit tantôt chantar et tantôt cantar, tantôt douz et tantôt dolz, se rapprochant ainsi à volonté du françois ou des langues méridionales, et cette latitude se comprend par la position centrale du provençal et par son manque de fixité. D'autres irrégularités de l'orthographe ne sont que des essais variés d'exprimer le même son. Dans l'origine des idiomes romans, le mélange des nations avoit introduit des consonnes, des voyelles et des diphthongues, étrangères au latin classique. L'alphabet romain, adapté à ces idiomes, se trouva donc défectueux: il fallut recourir à des combinaisons pour suppléer à sa pauvreté. De là vient que, dans chacune des langues dérivées du latin, depuis que leur orthographe est fixée, le même son est souvent exprimé d'une manière différente (par exemple, le L mouillé, en françois par ill, en italien par gli, en espagnol simplement par l, en portugais par lh; le n mouillé, en françois et en italien par gn, en espagnol par n, en portugais par nh). Dans le moyen âge, il n'existoit point encore de méthode, et le copiste provençal écrivoit à son gré salvaie, salvage, salvatie, salvatge: c'étoit cependant toujours le même son, c'est-à-dire le ge prononcé à l'italienne, et redoublé entre deux voyelles, comme dans selvaggio. N En conséquence de cette observation, je pense qu'on pourroit se permettre de régler l'orthographe des Troubadours, c'est-à-dire de choisir parmi les |