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nouard fournit ainsi à ses lecteurs le moyen d'examiner eux-mêmes, et de se convaincre de la justesse de ses observations. Ces nombreux fragmens de poésie provençale, accompagnés de traductions littérales, familiarisent avec les constructions de cette langue, et préparent à la lecture des Troubadours. Avec le secours de la grammaire et du glossaire que M. Raynouard se propose de donner, la plupart de leurs chansons, surtout de leurs chansons amoureuses, n'auront plus besoin de commentaire. Plusieurs poésies, nommément celles qui renferment des allusions historiques, ne pourront pas s'en passer, et d'autres encore, par exemple quelques morceaux d'Arnaud Daniel et de Marcabrus, resteront peut-être toujours indéchiffrables, même pour des savans aussi versés dans la langue romane et aussi consommés dans l'art de la critique philologique que l'est M. Raynouard.

Mais à quoi bon, dira-t-on peut-être, tout cet échafaudage d'une érudition fastidieuse? Ne pourroit-on pas traduire librement en prose les meilleurs morceaux des Troubadours, donner des extraits de quelques autres, et vouer tout le reste à l'oubli, par ménagement pour la mémoire de nos honorables aïeux ? L'essai en a été fait, et avec un succès déplorable. Il y a sans doute des ouvrages poé11

tiques qui, sans éprouver une perte considérable, peuvent être transportés dans d'autres langues, pourvu que la traduction soit au moins élégamment versifiée. Plus un ouvrage est le produit d'une imitation ambitieuse, mais stérile, d'un art devenu mécanisme; plus il tourne dans le cercle des magnifiques lieux communs et d'une phraséologie savamment factice, moins il risque à être traduit; car les équivalens de ces choses se trouvent abondamment dans toutes les littératures cultivées. Mais l'empreinte originale, non seulement des œuvres accomplies du génie, mais encore d'un art naissant, est difficile à conserver dans des traductions. Je pense qu'il seroit impossible d'imiter avec une heureuse fidélité les poésies provençales, même dans les langues de la même famille, peut-être autant à cause de leur bizarrerie que de leur grâce naïve. On ne sauroit considérer les chants des Troubadours comme les effusions spontanées d'une nature encore toute sauvage. Il y a de l'art, souvent même un art fort ingénieux; surtout un système compliqué de versification, une variété et une abondance dans l'emploi des rimes qui n'ont été égalées dans aucune langue moderne. Les Troubadours appeloient euxmêmes cet ensemble de poésie et de musique auquel ils exerçoient leurs talens, une science;

mais c'étoit la science gaie. Elle n'étoit pas puisée à la source des livres, ni des modèles réputés classiques; elle leur étoit inspirée uniquement par leur instinct poétique et par le désir de plaire à leurs contemporains. Le siècle où ils vivoient n'étoit nullement savant ni philosophique, mais robuste, indiscipliné, guerrier, aventureux même. Il y avoit des contrastes frappans ; d'un côté, une noble délicatesse dans les sentimens, un raffinement élégant dans les manières des classes supérieures ; de l'autre, de fortes ombres de licence, de rudesse et d'ignorance dans l'ensemble de l'ordre social. Les poésies d'un tel temps, surtout celles qui tiennent de plus près à l'inspiration du moment et à la vie individuelle, les poésies lyriques, ne ressemblent point aux fleurs usuelles de nos jardins littéraires, mais bien plutôt à ces plantes alpines qui ne sauroient être transportées hors de leur sol natal et de la température du ciel qui leur est propre. Pour voir fleurir la rose des Alpes, il faut gravir des montagnes. Pour jouir de ces chants qui ont charmé tant d'illustres souverains, tant de preux chevaliers, tant de dames célèbres par leur beauté et leur grâce, qui ont eu tant de vogue, non seulement dans tout le midi de l'Europe, mais partout où brilloit la chevalerie, et jusque dans la terre sainte; pour jouir de ces

chants, dis-je, il faut écouter les Troubadours euxmêmes, et s'efforcer de comprendre leur langage. Vous ne voulez pas vous donner cette peine? Eh bien, vous êtes condamné à lire les traductions de l'abbé Millot.

Deux grands poètes du quatorzième siècle, le Dante et Pétrarque, ont parlé des Troubadours avec une haute estime. La langue provençale leur étoit presque aussi familière que leur langue maternelle, surtout à Pétrarque, qui a passé une grande partie de sa vie dans la France méridionale. Les chants des Troubadours étoient encore animés alors par l'accompagnement de ces mêmes airs de musique pour lesquels ils avoient été composés primitivement, et qui faisoient ressortir l'harmonie de ces strophes si artistement tissues. Le Dante et Pétrarque n'étoient point, dans leurs poésies amoureuses, imitateurs des Troubadours, comme on l'a faussement prétendu à l'égard du dernier 4; ils étoient plutôt les rivaux de leur gloire. On ne sauroit attribuer non plus leur goût pour les Troubadours à cette prédilection qu'ont souvent les artistes pour leurs prédécesseurs dans le même genre, inférieurs en talent; car la poésie italienne, devenue adulte tout-à-coup par les créations du Dante et de Pétrarque, différoit dèslors de la poésie provençale autant par ses caractères

essentiels que par les formes de la versification. Leur suffrage doit donc être d'un grand poids sous tous les rapports. Mais ces mêmes littérateurs qui, après avoir lu péniblement et mal compris trois ou quatre morceaux des Troubadours, ont porté contre eux des sentences rigoureuses, ne demanderont pas mieux que de nous défaire aussi l'éclat de ces immortels génies, et de déprécier la valeur de leurs productions sublimes. Il sera temps de discuter le mérite poétique des Troubadours, quand on pourra lire leurs œuvres principales dans une édition correcte et accompagnée de tout ce qui sert à en faciliter l'intelligence, telle enfin que M. Raynouard nous la pro

met. Mais les hommes instruits dans l'histoire tombe

ront d'accord que les poésies provençales contiennent un trésor de souvenirs nationaux. Quelques Troubadours sont les ancêtres de familles qui occupent encore aujourd'hui un rang distingué en Frances; d'autres appartiennent à des familles éteintes, mais jadis illustres et puissantes; plusieurs, comme Bertrand de Born et Folquet de Marseille, ont joué un rôle important dans les événemens politiques de leur temps; un grand nombre d'entre eux ont parlé de ces mêmes événemens dont ils furent les témoins, souvent peut-être avec une partialité passionnée, mais toujours avec une franchise énergique; tous

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