d'improviser, et où une vivacité mobile de l'imagination invitoit à exercer cet art. Les idylles de Théocrite sont remplies de ces luttes, dont l'idée est prise dans les moeurs des pâtres de la Sicile. Les traditions scandinaves en offrent une foule d'exemples; et, pour citer un exemple moderne, en Italie les gens du peuple se raillent dans le carnaval par des couplets qu'ils improvisent en s'accompagnant de la guitare, et celui qu'on attaque répond sur le même air. Je ne sais pas si les tensons des Troubadours ont été en effet improvisés tels que nous les avons ; mais ils sont au moins l'imitation d'un combat entre deux improvisateurs. Ne connoissant point la poésie arabe, je me suis borné aux argumens négatifs déduits de l'improbabilité de la chose en elle-même et du manque absolu de preuves. Sans doute, dans l'histoire de la civilisation, il faut suivre avec soin les traces des communications qui ont eu lieu entre différens peuples; mais il faut bien se garder de confondre les analogies qui ont leur source dans la nature humaine, avec les ressemblances dérivées de l'imitation. Si vous refusez la puissance créatrice à l'homme presque dans tous les siècles et dans tous les pays; si vous faites, pour ainsi dire, la généalogie de toute activité intellectuelle, vous rendez la première invention d'autant plus inconcevable, et vous avez créé une difficulté au lieu d'en résoudre une. Tous les peuples bien doués ont eu le besoin et le goût de la poésie; elle s'est développée partout où les circonstances ont été propices. Passe encore de recourir aux étrangers pour les arts du dessin; mais la poésie tient de plus près aux impressions intimes que produit la langue maternelle; elle est toujours nulle et factice, quand elle n'est pas nationale. M. Raynouard a retrouvé un poëme en langue romane, reconnu pour antérieur à l'an 1000, aussi bien par le langage que par les caractères du manuscrit. Le sujet de ce poëme sur Boèce est tiré d'un livre latin et traité dans un esprit religieux; il est écrit en vers rimés de dix syllabes: on y trouve donc déjà la même mesure, qui devint ensuite dominante dans l'Europe méridionale. Cette découverte donne le coup de grâce à l'hypothèse arabe du père Andrès; car il fixe l'ère de la poésie provençale à la prise de Tolède en 1085, où, selon lui, des chevaliers du midi de France auroient appris à connoître la poésie des Maures. Il paroît que ce savant n'est pas aussi fier que l'étoit Sancho Panza de sa qualité de vieux chrétien, puisqu'il considère les Maures comme ses compatriotes, ct qu'il veut les ériger en maîtres des Espagnols dans la poésie comme dans tout le reste. Il n'entre pas dans mon sujet de réfuter en détail ce qu'il dit làdessus 4o. Je remarquerai seulement qu'il n'y a rien d'aussi anti-arabe que le plus ancien poëme espagnol, celui du Cid: c'est une épopée toute chrétienne et chevaleresque. La romance espagnole est en effet une imitation des chants du peuple maure; mais elle est comparativement bien moderne: son origine ne remonte peut-être guère au-delà de la conquête du royaume de Grenade. Voici une autre question, particulièrement intéressante pour mes compatriotes: nos Minnesinger ont-ils imité les Troubadours ou non? On pourra en décider quand les œuvres de ceux-ci seront connues; celles de nos poètes du moyen âge sont imprimées depuis long-temps. Les Troubadours ont pour eux l'ancienneté, puisque ce genre de poésie n'a commencé chez nous que sous Frédéric-Barberousse. Cependant je n'ai rien vu dans nos poètes qui annonçât l'imitation, et je pense des impulsions pareilles ont produit des phénomènes analogues. Les poètes des deux pays s'accordent à mettre un grand artifice dans l'emploi des rimes et l'ordonnance des strophes ; néanmoins la versification des nôtres suit d'autres règles que celle des Troubadours. L'amour, le culte des femmes, le que printemps, le chant des rossignols, les fleurs, quelquefois la chevalerie et la guerre, sont les sujets communs à tous les deux; mais un autre caractère domine dans l'expression des mêmes sentimens. Le parallèle des Troubadours avec les chantres d'amour, leurs contemporains en Allemagne, pourroit être fait d'une manière piquante. Lorsque je soutiens l'originalité de notre poésie du moyen âge, je ne veux parler que du genre lyrique. Les romans françois de chevalerie ont eu un grand succès sur l'autre rive du Rhin: ils ont été imités plus ou moins librement par nos poètes du treizième siècle. Mais, à côté de ces fictions étrangères, nous avons en abondance des poésies héroïques indigènes, fondées sur les plus anciennes traditions nationales. L'on cite par mi les protecteurs des Troubadours l'empereur Frédéric-Barberousse. Jean de NotreDame lui attribue un couplet en langue provençale. M. Ginguené reproche à Voltaire de s'être trompé en donnant Frédéric II pour auteur de ces vers: je crois, au contraire, que Voltaire a rectifié une erreur. Nous n'avons pas d'autres garans de ce petit fait que les anciens biographes des Troubadours, auteurs du quatorzième siècle, dont les récits ne sont que trop souvent suspects. Si ce couplet, assez , insignifiant, est en effet d'un empereur allemand, il ne peut avoir été fait que par Frédéric II. FrédéricBarberousse ne savoit qu'imparfaitement la langue romane, et il ne l'aimoit pas; d'ailleurs, ces vers ne sont pas dans son caractère. Mais Frédéric II étoit né en Sicile; il a passé sa vie dans les pays de langue roet il accueilloit tous les divertissemens favoris de son siècle. Au reste, les princes de la maison de Hohenstaufen, quoiqu'ils régnassent en Italie, ont toujours conservé de la prédilection pour leur langue maternelle. Nous avons des chansons d'amour composées en allemand par l'empereur Henri VI et par l'infortuné Conradin. Mainfroi, fils naturel de Frédéric II, étoit tellement passionné pour la poésie nationale, qu'au fond de l'Italie et à la veille d'ètre attaqué par Charles d'Anjou, il avoit son camp rempli de ménétriers et de poètes allemands, dont les chants amoureux contrastoient avec le bruit des armes et la trompette guerrière. Les recueils publiés par M. Raynouard donneront matière à des recherches sur la littérature provençale perdue. Il est certain que ce qui nous en reste n'est que la moindre partie. Jean de Notre-Dame fait mention de beaucoup d'ouvrages des Troubadours, d'après leurs anciens biographes; mais, dans cette énumération, je ne vois point de romans de cheva |