sans, ou puisés dans d'autres dialectes populaires. Le sanscrit, étudié seulement dans les livres anciens, n'est plus que la langue de communication générale entre les savans, ainsi que le latin l'étoit en Europe dans le seizième siècle. Le persan moderne, sous quelques rapports, peut être comparé à l'anglois : la grammaire de ces deux langues est infiniment simple; l'une et l'autre sont composées de deux élémens hétérogènes imparfaitement amalgamés: le persan du pehlwi et de l'arabe, l'anglois de l'anglo-saxon et du françois. 9 M. Raynouard dit (Recherches sur l'origine et la formation de la langue romane, p. 45): « Les Goths et les Francs << avoient dans leur langue l'usage des articles. >> Cela demande de grandes restrictions pour être exact. D'abord, dans le seul livre en langue gothique qui nous reste, dans l'Evangile d'Ulfilas, on n'aperçoit pas la plus légère trace de l'article indéfini, devenu indispensable dans nos langues modernes; ensuite, l'article défini aussi est omis une infinité de fois dans des passages où il se trouve dans le texte grec, et où l'usage actuel l'exigeroit impérieusement. Ulfilas a traduit avec une fidélité si littérale, que, lorqu'il supprime les articles du texte, on peut admettre que l'usage de sa langue ne les comportoit absolument pas. Ce qui me confirme encore plus dans la supposition que c'est par une espèce d'hellénisme qu'Ulfilas emploie les articles, c'est de voir que les poésies anglo-saxonnes et scandinaves en sont totalement dépourvues. Or, la poésie, et surtout la poésie populaire, conserve en général mieux le caractère primitif d'une langue que la prose. Dans les plus anciens écrits franciques, l'usage de l'article défini s'est déjà introduit plus ou moins; mais ces écrits ne remontent qu'au neuvième siècle. 10 EGINHART. VITA KAROLI MAGNI. « Inchoavit et gram«maticam patrii sermonis. Mensibus etiam juxta propriam « linguam nomina imposuit. » Eginhart donne ensuite ces noms allemands des mois, inventés par Charlemagne, dont quelques-uns sont encore aujourd'hui en usage. "Entre autres, dans Otfrid et les autres auteurs franciques de l'époque carlovingienne, l'emploi des verbes auxiliaires pour former, soit le prétérit, soit le futur, est encore extrêmement rare. 12 Il est constaté qu'Ulfilas a traduit d'après le texte grec et non d'après la version latine. Sa traduction est tellement littérale, que, pour peu qu'elle s'éloigne de l'original, on peut être sûr que le traducteur a eu devant les yeux une autre leçon que la nôtre; et, d'après les expressions dont il se sert, l'on peut même deviner quelles étoient ces variantes. Les fragmens de l'Evangile en langue gothique étant par conséquent d'un aussi grand intérêt pour l'histoire du texte sacré que sous le rapport philologique, beaucoup de savans en Angleterre, en Suède, en Hollande et en Allemagne (Junius, Stjernhelm, Lambert ten Kate, Hickes, Benzel, Lye, Ihre, Wachter, Zahn, etc.), les ont commentés. La grammaire gothique a été examinée avec le plus grand soin, et l'on y a trouvé une parfaite régularité et des analogies suivies avec exactitude. A cet égard, la langue gothique est bien supérieure aux autres dialectes de la même famille, à l'exception de l'anglo-saxon, qui fut savamment cultivé depuis Alfred-le-Grand. Au neuvième siècle encore, Otfrid, moine de Weissembourg, dans la préface de sa paraphrase versifiée de l'Evangile en langue francique, se plaint de la négligence de ses compatriotes et de la nature réfractaire de sa langue, qui étoit, à ce qu'il dit, inculta et indisciplinabilis, atque insueta capi regulari freno grammaticæ artis. Dans l'Evangile d'Ulfilas, au contraire, on est étonné de voir la perfection atteinte, pour ainsi dire d'un seul jet. J'attribue cela en partie aux talens philologiques des prêtres grecs qui convertirent les Goths à la religion chrétienne. Ces prêtres, emmenés captifs chez eux après la défaite de l'empereur Décius, ayant appris la langue gothique, dèrent sans doute le traducteur de leurs lumières. Ce fut d'ailleurs un grand avantage pour la langue gothique d'avoir adopté un alphabet inventé exprès, et si conforme aux besoins de la prononciation, que tous les sons simples, entre autres le TH et le WH des Anglois, y sont exprimés par une seule lettre. Sous ce rapport, on peut dire que les Goths écrivoient déjà leur langue mieux que nous n'écrivons la nôtre. Plus tard, les autres peuples germaniques adoptèrent l'écriture latine. Les seuls Anglo-Saxons y ont ajouté quelques lettres nouvelles. Les auteurs franciques ne trouvant pas de signes dans l'alphabet latin pour exprimer les sons particuliers à leur langue, essayèrent d'exprimer ces sons en combinant de diverses manières plusieurs lettres latines; ce qui a causé des variations continuelles dans l'orthographe, et donné à leur manière d'écrire un air barbare. Quoique ces peuples belliqueux ne fissent point de livres et se contentassent de confier leurs poésies à la mémoire, il me paroît incontestable qu'ils ont connu l'art de l'écriture avant l'invasion de l'empire romain. On trouve dans leurs langues des expressions originales relatives à cet art, tandis qu'ils auroient appris le nom avec la chose, si les Grecs et les Romains avoient été leurs premiers maîtres. L'alphabet d'Ulfilas semble être composé de caractères grecs, latins et runiques. Un poète, qui a écrit vers la fin du sixième siècle, Venantius Fortunatus, dit : Barbara fraxineis pingatur RUNA tabellis. Fortunatus étoit né en Italie, et devint évêque en France : il ne pouvoit guère avoir en vue d'autres peuples que les Goths ou les Francs. Or, à cette époque, les Goths, aussi bien ceux d'Italie que ceux d'Espagne, se servoient généralement du caractère d'Ulfilas. Ainsi, ce que dit Fortunatus de l'usage des runes se rapporte probablement aux Fraucs. Dans l'exorde du plus ancien texte de la loi salique, il est dit clairement que quatre législateurs, élus par la nation, l'ont décrétée dans les temps antérieurs à la conversion des Francs. Un savant historien, Adrien de Valois (RER. FRANCIC. Lib. III, p. 119), a vainement attaqué l'authenticité de cet exorde. Une grande partie de la loi salique consiste en chiffres qui servent à déterminer les amendes pour chaque délit. Comment une telle loi auroit-elle pu être transmise par la tradition orale ? Elle étoit donc écrite, sans doute en caractères runiques, avant la conquête des Gaules; et le texte que nous avons est une traduction de cet original, faite, comme on le voit au premier coup d'œil, par un Franc qui avoit très - mal appris le latin. ་ Il paroît que, dans la suite, les prêtres chrétiens ont proscrit les runes comme servant aux superstitions païennes. : 15 Cassiodore (Liv. II, epist. 42) écrit à Clovis au nom de son maître Citharodum etiam, arte sua doctum, pariter destinavimus expetitum, qui ore manibusqué consona voce can, tando, gloriam vestræ potestatis oblectet: quem ideo fore credimus gratum, quia ad vos eum judicastis magnopere dirigendum. Je n'accumulerai pas ici les témoignages qui prouvent, à commencer par celui de Tacite, combien les peuples germaniques aimoient de tout temps la poésie, surtout la poésie héroïque, qui leur retraçoit les exploits de leurs ancêtres. Il est surprenant de voir jusqu'à quelle distance de temps et de lieux des souvenirs nationaux se sont propagés. Ermanaric, roi des Goths au quatrième siècle, après avoir conquis un vaste empire entre la mer Noire et la mer Baltique, périt à un âge fort avancé dans l'invasion des Huns: il se tua de désespoir de ne pas pouvoir leur résister. Sa fin tragique devint le sujet d'un poème qui se chantoit en Allemagne encore dans le treizième siècle. Ce récit a trouvé son chemin jusqu'en Islande, et on le retrouve parmi les merveilles gigantesques de l'Edda. La gloire de Théodoric-le-Grand a été célébrée sous le nom de Dieteric de Berne; au seizième siècle encore, ce nom vivoit en Allemagne dans la bouche du peuple. Nos paysans, en suivant la charrue, chantoient les combats de Dieteric contre les géans; et c'est sans doute pour se conformer aux idées du temps, qu'on a placé la statue de ce héros, redevenu fabuleux, auprès du tombeau de l'empereur Maximilien, parmi celles de ses illustres ancêtres, |