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les Romains. Si la langue basque a pu se conserver dans le nord de l'Espagne, c'est que les ancêtres des Basques, les Cantabres, ont toujours maintenu leur indépendance. La GrandeBretagne est la seule province de l'empire occidental où la langue des peuples indigènes ne se soit pas éteinte; mais cette province étoit située à l'extrémité de l'empire; elle fut la dernière conquise et la première abandonnée. D'autres causes, qu'il seroit trop long de développer ici, ont contribué à la conservation de la langue nationale; elle s'est réfugiée, avec les restes des Bretons, dans le pays de Galles et la Cornouaille; de là elle a été apportée par eux dans la Basse-Bretagne. Toutefois, n'en déplaise aux antiquaires celtiques, bien loin de conserver sa pureté primitive, cette langue paroît être fortement mélangée de latin corrompu. Quoi qu'il en soit, lors de l'invasion des Barbares on parloit le latin, et seulement le latin, dans les Gaules jusqu'aux bords du Rhin, et dans les provinces au nord des Alpes jusqu'aux bords du Danube. Aujourd'hui, le territoire qu'occupent les langues romanes, est beaucoup moins étendu. A quelques exceptions près, les Alpes, les bassins des lacs de Genève et de Neuchâ tel, le Jura, les Vosges et les Ardennes, en forment les límites: de là jusqu'à la rive gauche du Rhin et à la rive droite du Danube, il reste une large lisière où l'on parle des dialectes flamands, allemands et esclavons. Partout où les conquérans ont vécu entremêlés avec les anciens habitans, il s'est formé un idiome roman quelconque. Il est donc clair que, dans toutes les provinces frontières de l'empire occidental, la population a été entièrement renouvelée, soit que les sujets romains aient péri dans les ravages de l'invasion, ou qu'ils aient émigré, ou qu'ils aient été expulsés par les conquérans. Ainsi l'état actuel des langues nous enseigne, concernant la destruction de l'empire occidental, beaucoup de faits que les notices imparfaites des historiens contemporains nous laissent ignorer. Ce seroit un travail intéressant à faire que de tracer en détail la ligne de démarcation entre les langues, telle qu'elle a été dans le moyen âge, et telle qu'elle est aujourd'hui, et d'examiner les patois limitrophes. Les limites des langues romanes étoient jadis encore plus resserrées qu'elles ne sont maintenant : l'italien n'a pas dépassé les Alpes; mais la langue françoise a gagné considérablement du terrain depuis quelques siècles sur la frontière du nord et de l'est.

55 Dans toutes les langues dérivées du latin, le mot verbum a disparu dans son acception ordinaire. La théologie avoit donné à ce mot un sens mystérieux; on craignit sans doute de le profaner en l'employant aux usages journaliers de la vie. On y a substitué partout le même mot, PARABOLA, qui est devenu en françois parole, en italien parola, en provençal paraula, en espagnol palabra, en portugais palavra. Ce mot, d'origine grecque, n'a pu être puisé que dans l'Evangile, où il signifie une similitude, une allégorie. Ainsi, il a fallu en étendre arbitrairement la signification pour désigner le langage humain en général. On ne sauroit méconnoître l'influence sacerdotale dans le rejet universel de l'expression classique, et dans le choix également universel d'une autre, prise dans la latinité chrétienne. Comme terme grammatical, le mot verbum, verbe, n'a été introduit que dans les temps modernes.

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34 Voici des exemples. Ménage, à l'article] Malotru, passe en revue plusieurs étymologies de ce mot, entre autres aussi la véritable, et puis il s'arrête à une fausse, male instructus; étymologie que M. Roquefort a répétée. On trouve, en vieux françois, malaustru; en provençal astrux, heureux ; malastrux, desastrux, malheureux. Ces mots viennent manifestement de astrosus, male astrosus, disastrosus, et rappellent les superstitions astrologiques, puisqu'ils signifient proprement: né sous une bonne ou mauvaise étoile. Le mot malotru étant d'un usage familier, s'est altéré; désastreux, n'employé que dans le style noble, a conservé la forme latine.

Ménage dérive choisir de COLLIGERE. Il ne pouvoit pas plus mal deviner. Le mot dérivé de COLLIGERE est bien connu, c'est cueillir. On trouve dans le vieux françois chausir; dans le provençal également, mais aussi causir. Gauselm Faidit, d'après les deux manuscrits nos. 3204 et 7225 de la bibliothèque royale, dit :

OS

Mas sola lei, qu'amors m'a faig CAUSIR.

Ce mot est théotisque. Ulfilas: KIUSAN OU KUSAN, eligere ; au prétérit, Kaus. Voyez les Glossaires de Junius et de Zahn. Cette racine se retrouve dans tous les anciens dialectes germaniques: en francique, KIUSAN, CHIUSAN; en anglo-saxon, CEOSAN, etc. L'éditeur du Dictionnaire de Ménage, Jault, a donné cette étymologie, mais sans citer les formes du mot choisir dans le vieux françois et dans le provençal, par lesquelles la chose est constatée jusqu'à l'évidence.

Il est dommage que M. Roquefort, dans la partie étymolo

gique de son Glossaire de la langue romane, ait pris pour guide Barbazan, dont le Glossaire, n'ayant pas été imprimé, se conserve en manuscrit à la bibliothèque de l'Arsenal. Ce savant vouloit dériver le françois exclusivement du latin. La thèse n'est pas soutenable, si l'on se borne au latin classique; si l'on comprend sous le nom de latin aussi le latin barbare, cela devient jusqu'à un certain point une dispute de mots; car la basse latinité fourmille de termes puisés dans les idiomes théotisques. Mais, à en juger d'après les citations de M. Roquefort, Barbazan ne savoit pas même se servir à propos du latin pour étayer son système, et manquoit absolument de tact étymologique.

Ménage avoit une grande érudition; et cependant, sous le rapport particulier de son entreprise, ses connoissances étoient incomplètes. Il avoit une teinte des langues germaniques modernes; mais il n'en connoissoit pas les anciens dialeetes, qui doivent être consultés de préférence: il étoit trèsversé dans les vieux livres françois des quinzième et seizième siècles; mais il n'étoit guère remonté au-delà; de son temps, on s'étoit encore peu appliqué à compulser les plus anciens manuscrits du moyen âge. Ménage avoit entièrement négligé les Troubadours : les citations peu nombreuses de vers provençaux dans la seconde édition de son dictionnaire sont dues à Caseneuve. La méthode de Ménage, de former des séries de mots imaginaires pour combler l'intervalle entre la prétendue racine et le mot dérivé, cette méthode est tout-à-fait inadmissible. On s'en est moqué avec raison; mais on n'a peut-être pas toujours rendu justice à la sagacité dont ce savant fait souvent preuve.

Depuis nombre d'années, M. de Pougens a préparé un grand travail étymologique ; et M. de Pougens possède beaucoup de connoissances qui manquoient à Ménage. Le Trésor des origines de la langue françoise, dont l'auteur a eu la bonté de me communiquer quelques articles en manuscrit, est presque un répertoire universel d'étymologie; car, d'une part, M. de Pougens rapporte les opinions de ses prédécesseurs; de l'autre, il ne s'arrête pas à la langue dont chaque mot françois est immédiatement dérivé : il remonte aux langues les plus anciennes dont nous ayons connoissance. L'évidence des étymologies vraiment historiques est peut-être compromise, si on les range sur la même ligne avec des étymologies hypothétiques, et qui se lient à des questions plus générales sur l'affiliation des langues. Toutefois la comparaison d'un grand nombre de langues entre elles offre souvent des rapprochemens curieux. L'entreprise de M. de Pougens est d'autant plus méritoire, qu'ayant eu le malheur de perdre la vue de bonne heure, il lui a fallu une persévérance et un amour de l'étude à toute épreuve pour achever un travail de cette espèce.

35 GRAMMAIRE ROMANE, P. 15. M. Raynouard donne comme des formes de l'article masculin au datif du singulier AL, EL, A LO; mais EL ne sauroit être admis dans cette classe, puisqu'il est contracté de EN EL, tandis que la préposition a est toujours la marque distinctive du datif. On a dit en vieux françois de la même manière ès au lieu de en les : ès jours, ès arts, etc. Cet el cause quelquefois de l'obscurité dans les Troubadours, puisque, dans l'ancienne manière d'écrire, il se confond avec

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