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immense nombre d'étrangers, dans l'armée et même dans les premières charges de l'état. Combien de consuls barbares les fastes de la Rome impériale ne comptent-ils pas! Après la chute de l'empire, l'étude littéraire de la langue latine, si soignée autrefois dans toutes les provinces occidentales, fut totalement négligée. M. Raynouard dit: «Le mélange de ces peuples

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qui renonçoient à leur idiome grossier, et adop<< toient l'idiome des vaincus, par la nécessité d'entre<< tenir les rapports religieux, civils et domestiques, << ne pouvoit qu'être funeste à la langue latine. La << décadence fut rapide. » Je ne saurois me ranger de l'avis de l'auteur à l'égard du premier point. D'abord cet idiome n'étoit pas si grossier, comme le prouve l'excellente traduction de l'Évangile par Ulfilas 12. Ensuite ces peuples guerriers et peu littéraires étoient fort attachés à leur langue, quelle qu'elle fût, aux souvenirs nationaux, aux chants héroïques qu'elle leur transmettoit. Théodoric-leGrand envoya à Clovis un chantre goth, qui savoit réciter les antiques exploits de sa nation 13. Les Goths et les Lombards en Italie, les Suèves, les Vandales 14 et les Goths en Espagne, les Goths et les Bourguignons dans le midi des Gaules, les Francs dans le nord, n'ont commencé à oublier leur langue maternelle que plusieurs siècles après la conquête.

Spécialement les Francs, établis dans les Gaules, ont conservé la langue francique ou théotisque sous les deux premières dynasties, et n'ont cessé de la parler qu'après la séparation finale des empires de France et d'Allemagne, c'est-à-dire au commencement du dixième siècle. Or, à cette époque, la langue romane étoit déjà toute formée. Je réserve, pour l'écrit que je viens d'annoncer, les preuves de mon assertion, contraire à ce que presque tous les historiens françois ont avancé.

Les conquérans barbares (ils adoptèrent euxmêmes ce nom qu'ils croyoient honorable, puisqu'il signifioit l'opposé de romain) trouvant dans les pays conquis une population toute latine, ou, selon l'expression du temps, romaine, furent en effet forcés d'apprendre aussi le latin pour se faire entendre, mais ils le parloient en général fort incorrectement; surtout ils ne savoient pas manier ces inflexions savantes, sur lesquelles repose toute la construction latine. Les Romains, c'est-à-dire les habitans des provinces, à force d'entendre mal parler leur langue, en oublièrent à leur tour les règles, et imitèrent le jargon de leurs nouveaux maîtres. Les désinences variables, étant employées arbitrairement, ne servoient plus qu'à embrouiller les phrases; on finit donc par les supprimer et par

tronquer les mots. Voilà ce qui distingue les dialectes romans, dès leur origine, de la latinité même la plus hérissée de barbarismes. Mais ces désinences supprimées servoient à marquer d'une manière trèssensible la construction des phrases, et la liaison des idées; il falloit donc y substituer une autre méthode, et c'est ce qui donna naissance à la grammaire analytique.

M. Raynouard admire avec raison cet instinct grammatical qui, du sein de la confusion même, sut tirer de nouveaux moyens de clarté; cette ingénieuse industrie de l'homme par laquelle il parvint à se forger, pour exprimer ses pensées, un nouvel instrument avec les matériaux de l'ancien qui s'étoit, pour ainsi dire, brisé entre ses mains. Il me semble cependant que M. Raynouard exalte un peu trop les avantages des langues analytiques. Plusieurs théoristes ont comparé le mérite relatif des langues anciennes et modernes, et Adam Smith donne la préférence aux langues modernes. Je l'avoue, les langues anciennes, sous la plupart des rapports, me paroissent bien supérieures. Le meilleur éloge qu'on puisse faire des langues modernes, c'est qu'elles sont parfaitement adaptées aux besoins actuels de l'esprit humain dont elles ont, sans aucun doute, modifié la direction.

Un brillant avantage des langues anciennes, c'est la grande liberté dont elles jouissoient dans l'arrangement des mots. La logique étoit satisfaite, la clarté assurée par des inflexions sonores et accentuées: ainsi, en variant les phrases à l'infini, en entrelaçant les mots avec un goût exquis, le prosateur éloquent, le poète inspiré, pouvoient s'adresser à l'imagination et à la sensibilité avec un charme toujours nouveau. Les langues modernes, au contraire, sont sévèrement assujéties à la marche logique, parce qu'ayant perdu une grande partie des inflexions, elles doivent indiquer les rapports des idées par la place même que les mots occupent dans la phrase. Ainsi une infinité d'inversions, familières aux langues anciennes, sont devenues absolument impossibles; encore faut-il employer le petit nombre d'inversions qui sont permises, avec une grande sobriété : car les inversions étant contraires au système général, deviennent facilement prétentieuses et affectées. Les langues modernes, faute de déclinaisons, distinguent le sujet du régime par leur place avant et après le verbe. Les anciens mettoient le régime avant le verbe, et le verbe avant le sujet, dans les locutions les plus usuelles comme dans le style le plus élevé. L'Odyssée d'Homère et les Annales de Tacite commencent également par

une inversion toute simple, et cependant inimitable dans les langues analytiques.

M. l'abbé Sicard, que ses travaux méritoires ont engagé à méditer beaucoup sur la nature des langues, m'a communiqué à ce sujet une observation fort intéressante. Il enseigne à ses élèves sourdsmuets l'emploi des signes selon l'ordre logique. Mais lorsque, dans les heures de délassement, ils communiquent entre eux par la même voie, ils arrangent les mots de leur langage muet d'une toute autre manière : ils se rapprochent de la construction latine sans la connoître, et ils font les inversions les plus hardies. Ne pourroit-on pas en conclure que ces inversions, que nous considérons comme des ornemens de rhétorique, sont plus naturelles que nous ne pensons, parce que nous avons contracté une habitude opposée? Disons-en autant des langues synthétiques en général. Elles appartiennent à une autre phase de l'intelligence humaine : il s'y manifeste une action plus simultanée, une impulsion plus immédiate de toutes les facultés de l'ame que dans nos langues analytiques. A celles-ci préside le raisonnement, agissant plus à part des autres facultés, et se rendant par conséquent mieux compte de ses propres opérations. Je pense qu'en comparant le génie de l'antiquité avec l'esprit des temps.

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