l'effet des invasions 32. D'autres colonies ont été admises depuis la conquête. Constantin-le-Grand établit dans les provinces de l'empire 300,000 Sarmates réfugiés auprès de lui, dont une partie cultivoit du temps d'Ausone des champs aux environs de Saverne en Alsace. Un village du Poitou, Tifauge, conserve le nom des Taifaliens, peuple probablement tartare, venu du fond de l'Asie. Childebert III a fait une ordonnance relativement aux Saxons qui venoient à la foire de Saint-Denis. Ces Saxons demeuroient aux environs de Bayeux et de Nantes. Un prince lombard de Bénévent a reçu une colonie de 60,000 Bulgares dans sa principauté. Lạ population des pays de l'Europe latine est infiniment plus mélangée, la généalogie des nations infiniment plus compliquée, qu'on ne l'imagine d'ordinaire. Les différences des langues dérivées du latin peuvent se réduire à quelques points principaux : l'altération des sons, les formes grammaticales, le choix des mots latins, latins-barbares, théotisques et autres qui sont restés en usage, enfin la manière dont les mots tirés du latin classique ont été détournés de leur sens primitif. Rien de tout cela n'est dû au hasard; et si l'on savoit assigner à ces variations leurs véritables causes, nous connoîtrions l'histoire des peuples, leur vie privée dans les temps passés, bien autrement que les livres d'histoire ne peuvent nous l'apprendre. L'altération des consonnes et des voyelles dont se composent les mots latins, tient en grande partie à la prononciation, et la prononciation est soumise aux influences climatiques. Ces influences se conçoivent fort bien en théorie, mais elles nous échappent quand nous essayons de les détailler. On sait que les montagnards ont, en général, un accent plus rude que les habitans des plaines et des côtes. Mais comment expliquer, par exemple, les ressemblances que le dialecte de Gènes offre avec le portugais, et qu'on ne sauroit attribuer assurément ni à la communication des peuples ni à l'imitation réciproque? Ce qui fait contraster davantage entre elles les langues latines mixtes, c'est précisément le matériel des mots: le choix et la combinaison des consonnes et des voyelles qui souvent paroissent être les mêmes dans l'écriture, et diffèrent pourtant à l'oreille; la prédilection pour certains sons, la prosodie et l'accent. Les analogies dans tout le reste sont d'autant plus surprenantes que, depuis le renversement de l'empire romain, l'Europe occidentale et méridionale n'a jamais formé une seule monarchie; qu'elle a été, au contraire, morcelée en une quan 1 tité de petits états indépendans. Ces analogies s'expliqueroient facilement, si l'on admettoit avec M. Raynouard que, pendant les premiers siècles, la langue populaire eût été partout la même. Mais nous avons vu quels faits et quels argumens s'opposent à cette hypothèse. Au reste, on n'a pas besoin d'y recourir. Les mêmes facultés, les mêmes besoins, agissant dans des circonstances pareilles, ont produit des grammaires analogues. Dans le choix des mots latins universellement conservés ou condamnés, dans l'altération de leur sens, on reconnoît souvent l'influence du clergé, d'une classe d'hommes qui, à peu près seuls, continuèrent pendant le moyen âge à parler et à écrire le latin régulier, et qui furent chargés de l'adapter au culte et à la législation 33. L'utilité du provençal pour l'étymologie du françois est évidente. Si l'on veut découvrir l'origine obscure d'un mot, il faut examiner les diverses formes qu'il a prises dans la suite des siècles. L'on arrive ainsi au plus ancien françois. De là l'on doit passer à la langue romane, et souvent par la seule confrontation de la forme du mot dans cette langue, la question se trouvera résolue, parce que le provençal a beaucoup mieux conservé les lettres caractéristiques que le françois 34. S'il reste encore des doutes, il faut remonter plus haut, au latin barbare et aux 1 idiomes théotisques. Je me borne ici à cette seule observation. Dans mon essai sur la formation de la langue françoise, je réfuterai les hypothèses exclusives qu'on a mises au jour sur l'étymologie du françois, et je tâcherai de poser pour cette étude des principes qui puissent lui assurer une marche historique, et la tirer des divagations conjecturales, causes du mépris où elle est tombée. Si, par un autre concours d'événemens, par l'établissement du centre de la monarchie dans le midi, le provençal fût resté ou devenu la langue dominante en France; si cette belle langue se fût maintenue au même degré de faveur dont elle jouissoit autrefois, jusqu'à la renaissance des lettres et l'invention de l'imprimerie, et qu'elle eût reçu alors une culture plus savante, la littérature nationale eût pris un tout autre caractère. Le provençal du temps classique réunit, jusqu'à un certain point, la rapidité légère du françois avec les teintes chaudes et l'harmonie sonore des langues du midi. Sous le rapport musical, on pourroit désirer cependant qu'il y eût moins de monosyllabes et moins de consonnes finales. Si toutes les lettres écrites étoient prononcées, et elles l'étoient incontestablement, le provençal né devoit pas être exempt de rudesse; mais c'étoit une langue flexible, et qui prêtoit beaucoup à l'harmonie imitative: on aperçoit une douceur insinuante dans les poésies amoureuses, et, d'autre part, dans les chants guerriers de Bertrand de Born, on croit entendre le fracas des armes. Arnaud Daniel a souvent fait exprès des vers durs, mais qui étonnent par la brièveté des sentences. Un défaut du provençal qui lui est commun avec le françois, c'est l'abondance des homonymes. Peutêtre distinguoit-on en partie ces homonymes par des nuances de prononciation; et tout ce qui nous embarrasse dans la langue écrite, ne seroit alors qu'un vice de l'orthographe. Mais on ne sauroit rejeter sur l'orthographe le manque de fixité et une certaine fluctuation entre plusieurs formes du même mot, que l'on aperçoit dans le provençal; défaut des langues dont la formation n'est pas encore achevée. C'est un mal, pour une langue, d'être fixée à un point qui mette obstacle à tout développement ultérieur; mais quand elle n'est pas suffisamment fixée dans la partie élémentaire, il en résulte d'autres inconvéniens. Ces petits mots de liaison qui remplissent les intervalles entre les mots essentiels, doivent attirer l'attention le moins possible: or, s'ils varient sans cesse, ils vous distraient; il est donc utile qu'ils soient toujours les mêmes. Mais, dans le provençal, il y a trois ou quatre formes différentes, quelquefois |