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davantage, pour les articles, les pronoms personnels et possessifs, et une foule de particules qui reviennent à chaque instant. Les anomalies des verbes aussi sont très-grandes. On ne sauroit blâmer une langue d'avoir un certain nombre de verbes anomales trop de régularité deviendroit monotone. Cependant il suffit bien d'une seule anomalie pour chaque flexion d'un verbe; en provençal, on trouve assez souvent deux ou trois manières différentes toutes anomales, de former la même personne du même temps. Cette multiplicité superflue rend une langue plus difficile à apprendre, sans que la peine soit rachetée par une véritable perfection. Le seul avantage qui en résulte, est la facilité de la versification: aussi les Troubadours ont-ils exécuté des tours de force en ce genre, qu'on imiteroit difficile ment dans aucune autre langue.

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M. Raynouard, en composant sa grammaire, ne s'est nulle part appuyé de l'autorité des anciens grammairiens provençaux : il prouve toutes les règles par les textes originaux du temps classique, et elles en ont d'autant plus d'authenticité. Il seroit cependant curieux de connoître comment on envisageoit, du temps même des Troubadours, la théorie de leur langue et la partie grammaticale de l'art poétique. Les passages que Bastero allègue du Do

natus provincialis d'Ugo Faidit et de l'Art de bien trouver de Raimond Vidal, ne m'en donnent pas une trop mauvaise idée. Ces écrits sont assez courts: ils mériteroient peut-être que l'éditeur des Troubadours leur accordât une place parmi les vieux morceaux en prose qu'il va publier.

Par le seul fait de la grammaire de M. Raynouard, l'étude de la littérature provençale est déjà plus avancée maintenant que celle de l'ancienne poésie françoise; car il n'existe point de grammaire du françois tel qu'on l'écrivoit au treizième siècle : M. Raynouard seroit plus en état de la donner

que personne.

Je n'ai trouvé d'objections à faire que sur quelques points de détail 35. Dans le plan général de la grammaire, il me semble qu'on auroit pu désirer un chapitre sur la prononciation et l'orthographe; mais M. Raynouard se propose de publier un traité sur la versification, à laquelle ces deux sujets sont liés de près; ainsi, cette omission pourra être facilement réparée.

Bastero a traité de la prononciation, mais d'une manière confuse et diffuse, comme de tout le reste. Il embrouille une matière simple en s'obstinant à comparer la prononciation provençale avec la prononciation toscane. La méthode la plus facile de dé

finir les sons qu'expriment les lettres, soit simples, soit composées, est d'indiquer leurs équivalens dans plusieurs autres langues dont la prononciation est connue. Les lecteurs de la grammaire romane, aussi bien les étrangers, que les François des provinces septentrionales qui n'ont point séjourné dans le midi, pourroient être induits en erreur en jugeant jugeant la prononciation du provençal d'après celle du françois moderne.

M. Raynouard rapporte en partie les variations. de l'orthographe dans les manuscrits des Troubadours, aux diversités de la prononciation, qu'il suppose avoir eu lieu dans les différentes provinces. J'objecte à cela que ces manières différentes d'écrire le même mot se rencontrent souvent non seulement dans le même manuscrit, mais aussi dans la même pièce de vers. Je distingue deux espèces de variations dans l'orthographe. Quelques-unes marquent en effet des prononciations différentes ; je crois cependant que ces différences n'étoient pas locales, mais admises partout où l'on parloit la même langue, et je les attribue à cette fluctuation dans les formes du provençal, dont je viens de parler. Ainsi, le même poète disoit tantôt chantar et tantôt cantar, tantôt douz et tantôt dolz, se rapprochant ainsi à volonté du françois ou des langues méridionales,

et cette latitude se comprend par la position centrale du provençal et par son manque de fixité.

D'autres irrégularités de l'orthographe ne sont que des essais variés d'exprimer le même son. Dans l'origine des idiomes romans, le mélange des nations avoit introduit des consonnes, des voyelles et des diphthongues, étrangères au latin classique. L'alphabet romain, adapté à ces idiomes, se trouva donc défectueux: il fallut recourir à des combinaisons pour suppléer à sa pauvreté. De là vient que, dans chacune des langues dérivées du latin, depuis que leur orthographe est fixée, le même son est souvent exprimé d'une manière différente (par exemple, le L mouillé, en françois par ill, en italien par gli, en espagnol simplement par l, en portugais par lh; le N mouillé, en françois et en italien par gn, en espagnol par n', en portugais par nh). Dans le moyen âge, il n'existoit point encore de méthode, et le copiste provençal écrivoit à son gré salvaie, salvage, salvatie, salvatge: c'étoit cependant toujours le même son, c'est-à-dire le ge prononcé à l'italienne, et redoublé entre deux voyelles, comme dans selvaggio.

En conséquence de cette observation, je pense qu'on pourroit se permettre de régler l'orthographe des Troubadours, c'est-à-dire de choisir parmi les

variations des manuscrits une seule manière d'écrire les mêmes mots et les mêmes sons, en préférant celle qui rappelle le mieux l'étymologie. Je pense aussi qu'on pourroit employer avec avantage les accens, soit pour diriger la prononciation, soit pour distinguer les homonymes. Une seule petite marque orthographique que M. Raynouard admet, l'apos trophe, devient un moyen prodigieux de clarté dans une langue remplie d'élisions. M. Raynouard a trouvé des inconvéniens à s'écarter davantage des manuscrits, et il en est meilleur juge que moi; mais nous sommes d'accord au moins sur la nécessité d'une grande exactitude dans ces détails en apparence minutieux. Un texte original perd toute sa valeur avec son authenticité. Pour faire avancer la philologie du moyen âge, il faut y appliquer les principes de la philologie classique.

Les nombreuses citations de vers provençaux dans la grammaire de M. Raynouard font voir ce qu'on peut se promettre de son édition des Troubadours sous le rapport de la correction: jusqu'ici, presque tous ceux qui se sont mêlés d'imprimer des morceaux et des fragmens de poésie provençale, Jean de Notre Dame, Tassoni, Crescimbeni, les ont défigurés en cumulant les fautes des manuscrits et leurs propres erreurs; et les littérateurs modernes,

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