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au lieu de corriger leurs prédécesseurs, ont renchéri sur eux à cet égard. M. Raynouard a consulté les meilleurs manuscrits existans; il en a comparé plusieurs qui contiennent les mêmes pièces; et, lorsque tous ces manuscrits s'accordent dans une fausse leçon, il est en mesure d'y suppléer par des émendations. M. Raynouard accompagne les phrases citées, soit en vers, soit en prose, d'une traduction littérale. Le françois ne se prête guère à ce genre de traductions, et je crains bien que les lecteurs ne trouvent quelquefois celles de M. Raynouard obscures à force de fidélité. Toutefois elles sont exactes 36, et l'auteur s'y montre aussi bon interprète qu'il est habile restaurateur du texte.

Il faut ajourner les recherches générales sur la littérature des Troubadours jusqu'au moment où l'édition de M. Raynouard les aura rendus accessibles au public. J'indiquerai seulement quelques points sur lesquels l'attention pourra se diriger alors.

La versification des poésies provençales mérite d'être examinée à fond. Elle est importante pour la théorie de cet art, à cause de ses singularités et des raffinemens dans l'emploi des rimes, dans leur entrelacement, dans leur continuité ou leur retour après de longs intervalles. Parmi les littérateurs

modernes, M. Ginguené est le seul qui se soit donné quelque peine pour en connoître les règles. Mais ce savant estimable n'y a pas trop bien réussi : il paroît avoir mal compté les syllabes des vers. La versification provençale participe au système qui depuis a prévalu en France, mais sous quelques rapports elle se rapproche de la versification italienne. Les Troubadours ont rarement fait usage du vers alexandrin; ils se sont arrêtés d'ordinaire au vers de dix syllabes, ou de onze, en comptant la rime féminine. Ce vers est devenu la mesure héroïque des Italiens, à l'exclusion de l'alexandrin. La raison en est évidente. L'italien a la faculté de fondre en une seule syllabe, sans élision, la voyelle finale et la voyelle ou même la diphthongue initiale du mot suivant. Loin d'éviter cela, on le recherche dans la poésie italienne comme une beauté. Cessyllabes, doublées par le concours des voyelles, rendent les vers plus serrés et plus sonores, et donnent au rhythme une vibration vigoureuse. Dans les vers provençaux, la fréquence des syllabes accentuées et la grande liberté de contraction produisent un effet semblable. En françois, l'élision se borne à l'ɛ muẹt; il est inévitable d'élever souvent cette voyellé, qui à peine en est une, au rang d'une syllabe: ainsi l'on a trouvé que les vers de dix syllabes n'avoient pas assez

de poids ni d'étendue pour les sujets majestueux, et il a fallu recourir au vers alexandrin, mesure défectueuse à cause de la symétrie monotone des hémistiches. En provençal les rimes masculines sont fortement caractérisées par les consonnes finales, toutes prononcées, et les rimes féminines se terminent par des voyelles sonores, quoiqu'elles ne soient pas aussi variées que dans l'italien et l'espagnol.

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Comme les chansons, les tensons et les sirventès étoient également destinés à être chantés, il seroit intéressant de connoître le rapport entre l'ordonnance des strophes et la composition musicale. L'un des manuscrits de la bibliothèque royale (n." 2701) contient des airs de musique en assez grand nombre. Il est à désirer que M. Raynouard veuille en donner quelques-uns, en les faisant transposer par une main savante dans la notation actuelle.

L'invention d'une variété infinie de strophes ; l'observation exacte de la mesure dans des vers souvent très-nombreux de longueur inégale, liés ensemble par le retour regulier de rimes croisées de mille manières; tous ces soins délicats pour l'harmonie font d'autant plus d'honneur à l'oreille musicale des Troubadours que beaucoup d'entre eux ne savoient probablement ni lire ni écrire. Il est vrai

que Bernard de Ventadour imagine d'écrire à sa
dame, puisqu'elle sait lire, mais aussi le remarque-
t-il comme une chose qui lui fait grand honneur 37.
Un illustre chevalier et un des plus aimables
Tun
poètes allemands du treizième siècle, Ulric de Lich-
tenstein, a fait le roman de ses amours, en y insé-
rant les chansons qui se rapportent à chaque situa-
tion. Il raconte naïvement qu'il fut forcé de garder
une lettre de sa dame pendant six semaines sur son
cœur sans pouvoir la lire, vu que son secrétaire étoit
absent. Nos chantres d'amour (Minnesinger) peuvent
être mis en parallèle avec les Troubadours à beaucoup
d'égards. Un manuscrit de la bibliothèque royale con-
tenant un ample recueil de leurs poésies, est orné
de miniatures qui sont curieuses, parce qu'elles pei-
gnent le costume, et représentent une scène de la
vie de chaque poète. Jamais on n'y voit les poètes.
écrivant eux-mêmes, ils dictent toujours. Un secré-
taire écrit d'abord la première ébauche avec un
poinçon sur des tablettes enduites de cire à la
manière romaine; ensuite les vers sont mis au net
sur un rouleau de parchemin. Je présume que
les Troubadours faisoient de même. Beaucoup de
leurs poésies n'ont peut-être jamais été écrites,
mais seulement confiées à la mémoire; c'est pour-

quoi les plus anciennes ne nous sont pas parvenues.

MM. Ginguené et Sismondi veulent faire naître la poésie provençale de l'imitation des Arabes d'Espagne. C'est la doctrine du père Andrès qu'ils ont reproduite. Ce savant Espagnol vouloit de cette manière revendiquer pour sa patrie la gloire d'avoir donné la première impulsion aux Troubadours. Cette hypothèse pourra paroître facile à soutenir à ceux qui ne connoissent ni la poésie provençale ni la poésie arabe; elle devient plus épineuse quand on connoît l'une ou l'autre, et je pense qu'après les avoir approfondies toutes les deux, on abandonnera volontiers une supposition aussi précaire. Je l'avoue, dans tout ce que j'ai lu sur ce sujet, je n'ai pas vu l'ombre d'une preuve; et il en faudroit de fort bonnes pour me persuader que l'inspiration d'une poésie toute fondée sur l'adoration des femmes et sur la plus grande liberté dans leur existence sociale, ait été prise chez un peuple où les femmes étoient des esclaves soigneusement enfermées; et que les chevaliers chrétiens aient été chercher des maîtres parmi les infidèles qu'ils combattoient à outrance. Dans les plus anciens romans de Charlemagne qui étoient en vogue dès le douzième siècle, les rois et les guerriers maures sont peints comme des espèces de monstres, animés contre la foi chrétienne d'une fureur diabolique. Il s'est

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