ce qu'elles fussent fondues en une seule. Il y a deux villages, dont l'un s'appelle Romainville et l'autre Franconville. Peuton douter que ces villages aient reçu leurs noms des Romains et des Francs qui habitoient exclusivement l'un et l'autre? Remarquez encore que Franconville est un mot hybride, dont la première moitié est formée d'après la grammaire francique; car FRANKONO est le génitif pluriel de FRANKO. Otfrid dit dans sa dédicace à un roi carlovingien : SO FRANKONO KUNING SCAL. 32 La différence qui existe entre les anciennes frontières de l'empire occidental et les limites actuelles des langues dérivées du latin, est une circonstance fort remarquable, et qui, ce me semble, n'a pas fixé autant qu'elle le mérite l'attention de la plupart des historiens modernes. Dès le temps des premiers empereurs, la domination romaine s'étendoit jusqu'au Rhin et au Danube; et les cinq siècles qui se sont écoulés depuis Auguste jusqu'à la chute de l'empire, étoient bien plus que suffi-sans pour faire adopter aux peuples assujétis, qui se trouvoient compris dans cette circonscription, la langue aussi bien queles mœurs de leurs maîtres, et pour faire tomber dans l'oubli les idiomes divers que ces peuples avoient parlés dans leur état d'indépendance. Quand les gouvernemens ne s'en mêlent pas, plusieurs langues peuvent coexister long-temps dans le même pays; mais les grands gouvernemens, dont le centre est en même temps un foyer de civilisation, ont des moyens immenses pour répandre une langue et la rendre universelle dans un vaste empire; et jamais aucune nation n'a mieux entendu cetart que les Romains. Si la langue basque a pu se conserver dans le nord de l'Espagne, c'est que les ancêtres des Basques, les Cantabres, ont toujours maintenu leur indépendance. La GrandeBretagne est la seule province de l'empire occidental où la langue des peuples indigènes ne se soit pas éteinte; mais cette province étoit située à l'extrémité de l'empire; elle fut la dernière conquise et la première abandonnée. D'autres causes, qu'il seroit trop long de développer ici, ont contribué à la conservation de la langue nationale; elle s'est réfugiée, avec les restes des Bretons, dans le pays de Galles et la Cornouaille; de là elle a été apportée par eux dans la Basse-Bretagne Toutefois, n'en déplaise aux antiquaires celtiques, bien loin de conserver sa pureté primitive, cette langue paroît être fortement mélangée de latin corrompu. Quoi qu'il en soit, lors de l'invasion des Barbares on parloit le latin, et seulement le latin, dans les Gaules jusqu'aux bords du Rhin, et dans les provinces au nord des Alpes jusqu'aux bords du Danube. Aujourd'hui, le territoire qu'occupent les langues romanes, est beaucoup moins étendu. A quelques exceptions près, les Alpes, les bassins des lacs de Genève et de Neuchâtel, le Jura, les Vosges et les Ardennes, en forment les limites de là jusqu'à la rive gauche du Rhin et à la rive droite du Danube, il reste une large lisière où l'on parle des dialectes flamands, allemands et esclavons. Partout où les conquérans ont vécu entremêlés avec les anciens habitans, il s'est formé un idiome roman quelconque. Il est donc clair que, dans toutes les provinces frontières de l'empire occidental, la population a été entièrement renouvelée, soit que les sujets romains aient péri dans les ravages de l'invasion, ou qu'ils aient émigré, ou qu'ils aient été expulsés par les conquérans. Ainsi l'état actuel des langues nous enseigne, concernant la destruction de l'empire occidental, beaucoup de faits que les notices imparfaites des historiens contemporains nous laissent ignorer. Ce seroit un travail intéressant à faire que de tracer 'en détail la ligne de démarcation entre les langues, telle qu'elle a été dans le moyen âge, et telle qu'elle est aujourd'hui, et d'examiner les patois limitrophes. Les limites des langues romanes étoient jadis encore plus resserrées qu'elles ne sont maintenant : l'italien n'a pas dépassé les Alpes; mais la langue françoise a gagné considérablement du terrain depuis quelques siècles sur la frontière du nord et de l'est. 55 Dans toutes les langues dérivées du latin, le mot verbum a disparu dans son acception ordinaire. La théologie avoit donné à ce mot un sens mystérieux; on craignit sans doute de le profaner en l'employant aux usages journaliers de la vie. On y a substitué partout le même mot, PARABOLA, qui est devenu en françois parole, en italien parola, en provençal paraula, en espagnol palabra, en portugais palavra. Ce mot, d'origine grecque, n'a pu être puisé que dans l'Evangile, où il signifie une similitude, une allégorie. Ainsi, il a fallu en étendre arbitrairement la signification pour désigner le langage humain en général. On ne sauroit méconnoître l'influence sacerdotale dans le rejet universel de l'expression classique, et dans le choix également universel d'une autre, prise dans la latinité chrétienne. Comme terme grammatical, le mot verbum, verbe, n'a été introduit que dans les temps modernes. 34 Voici des exemples. Ménage, à l'article Malotru, passe en revue plusieurs étymologies de ce mot, entre autres aussi la véritable, et puis il s'arrête à une fausse, male instructus, étymologie que M. Roquefort a répétée. On trouve, en vieux françois, malaustru; en provençal astrux, heureux; malastrux, desastrux, malheureux. Ces mots viennent manifestement de astrosus, male astrosus, disastrosus, et rappellent les superstitions astrologiques, puisqu'ils signifient proprement né sous une bonne ou mauvaise étoile. Le mot malotru étant d'un usage familier, s'est altéré; désastreux, n'employé que dans le style noble, a conservé la forme latine. Ménage dérive choisir de cOLLIGERE. Il ne pouvoit pas plus mal deviner. Le mot dérivé de COLLIGERE est bien connu, c'est cueillir. On trouve dans le vieux françois chausir; dans le provençal également, mais aussi causir. Gauselm Faidit, d'après les deux manuscrits n°. 3204 et 7225 de la bibliothèque royale, dit: 1 Mas sola lei, qu'amors m'a faig CAUSIR. Ce mot est théotisque. Ulfilas: KIUSAN OU KUSAN, eligere; au prétérit, KAUS. Voyez les Glossaires de Junius et de Zahn. Cette racine se retrouve dans tous les anciens dialectes germaniques en francique, KIUSAN, CHIUSAN; en anglo-saxon, CEOSAN, etc. L'éditeur du Dictionnaire de Ménage, Jault, a donné cette étymologie, mais sans citer les formes du mot choisir dans le vieux françois et dans le provençal, par lesquelles la chose est constatée jusqu'à l'évidence. Il est dommage que M. Roquefort, dans la partie étymolo gique de son Glossaire de la langue romane, ait pris pour guide Barbazan, dont le Glossaire, n'ayant pas été imprimé, se conserve en manuscrit à la bibliothèque de l'Arsenal. Ce savant vouloit dériver le françois exclusivement du latin. La thèse n'est pas soutenable, si l'on se borne au latin classique; si l'on comprend sous le nom de latin aussi le latin barbare, cela devient jusqu'à un certain point une dispute de mots; car la basse latinité fourmille de termes puisés dans les idiomes théotisques. Mais, à en juger d'après les citations de M. Roquefort, Barbazan ne savoit pas même se servir à propos du latin pour étayer sou système, et manquoit absolument de tact étymologique. Ménage avoit une grande érudition; et cependant, sous le rapport particulier de son entreprise, ses connoissances étoient incomplètes. Il avoit une teinte des langues germaniques modernes; mais il n'en connoissoit pas les anciens dialectes, qui doivent être consultés de préférence: il étoit trèsversé dans les vieux livres françois des quinzième et seizième siècles; mais il n'étoit guère remonté au-delà; de son temps, on s'étoit encore peu appliqué à compulser les plus anciens manuscrits du moyen âge. Ménage avoit entièrement négligé les Troubadours : les citations peu nombreuses de vers provençaux dans la seconde édition de son dictionnaire sont dues à Caseneuve. La méthode de Ménage, de former des séries de mots imaginaires pour combler l'intervalle entre la prétendue racine et le mot dérivé, cette méthode est tout-à-fait inadmissible. On s'en est moqué avec raison; mais on n'a peut-être pas toujours rendu justice à la sagacité dont ce savant fait souvent preuve. A |