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conservé avec la langue mère quelques traits de ressemblance, qui sont déjà effacés dans les plus anciens écrits provençaux. L'orthographe françoise, et cette orthographe nous peint l'ancienne prononciation, a conservé, par exemple, dans les verbes, le T final des troisièmes personnes du pluriel. On écrit en françois : ils entendent, INTENDUNT, et en provençal, entenden. Les plus anciens manuscrits provençaux offrent encore quelquefois cette consonne finale; mais l'usage général la supprime.

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Selon M. Raynouard, l'Italie et les Espagnes auroient aussi éprouvé une semblable révolution en vertu de laquelle la langue romane, parlée partout dans ces pays telle qu'elle s'étoit formée en France, se seroit transformée en italien, en espagnol et en portugais. Il est difficile de lui opposer des preuves positives, parce qu'on a commencé fort tard à écrire ces langues, et que leurs plus anciens monumens ne remontent, comme je l'ai dit, qu'au treizième siècle, ou tout au plus à la dernière moitié du douzième. Or, d'après la supposition de M. Raynouard, le second changement dans les idiomes de ces pays auroit eu lieu beaucoup plus tôt. Mais cette hypothèse est contraire aux analogies que nous pouvons observer dans l'histoire des langues. Celles qui sont nées de la corruption d'une autre langue s'é

loignent toujours davantage de leur original par le seul laps du temps, jusqu'à ce que la culture littéraire les fixe. Or, l'italien et l'espagnol sont bien visiblement plus près du latin que le provençal. Dans celui-ci, les mots latins sont d'ordinaire tronqués de la dernière syllabe, tandis que, dans l'italien et l'espagnol, on a seulement retranché les consonnes finales, en conservant les voyelles qui les précèdent. Mais M. Raynouard veut que ces voyelles aient été ajoutées plus tard, par voie d'adoucissement. Soit: cela est même incontestable à l'égard des mots qui ont une syllabe de plus que dans le latin. De INTEN DUNT on a d'abord fait intendon et puis intendono. Mais aussi à l'égard des lettres intérieures des mots, l'espagnol et l'italien ressemblent beaucoup plus au latin que le provençal. Un seul exemple peut suffire. L'imparfait du verbe tener est en provençal tenia, en toscan teneva; ce qui, à la dernière lettre près, est le latin TENEBAT. Cependant, dans la supposition de M. Raynouard, on auroit dit anciennement, en Toscane comme en Provence, tenia, et la forme teneva se seroit introduite postérieurement. Les langues ne reviennent pas sur leurs pas. Comment le peuple, après avoir oublié le latin pendant une longue suite de générations, l'auroit-il deviné tout-à-coup de nouveau, et s'en seroit-il rapproché

sans avoir aucun motif de changer d'habitude? Les seuls hommes qui sussent le latin, les ecclésiastiques, ne donnoient alors aucun soin à la langue vulgaire. Quand même ils l'auroient fait, cela ne sauveroit pas l'hypothèse de M. Raynouard. L'influence des savans et des poètes peut introduire quelques mots dans une langue; mais elle ne sauroit y opérer des changemens qui en affectent les élémens, et traversent, pour ainsi dire, toute la grammaire et tout le dictionnaire.

On m'objectera peut-être que le françois d'aujourd'hui est, à quelques égards, plus latin que celui du moyen âge j'en conviens, et cela s'explique naturellement. Depuis la renaissance des lettres, au seizième siècle, une foule de savans, versés dans la littérature classique, ont écrit des livres françois. Ils ont puisé dans les langues anciennes beaucoup d'expressions qui manquoient au langage usuel, et celui-ci a éprouvé ensuite la réaction du style des livres. Souvent on trouve dans le françois deux mots dérivés de la même racine, et l'on peut être sûr que le mot altéré, soit dans la forme, soit dans le sens, est anciennement françois, et que le mot resté du latin pur, date des temps modernes 25. Les savans ont aussi quelquefois réglé l'orthographe d'après l'étymologie; cependant ils n'ont pu changer ni la

prononciation, ni les formes grammaticales de la langue populaire. Les changemens dont je viens de parler se sont répandus par le secours de l'imprimerie; car, dans le moyen âge, l'influence des livres étoit restreinte dans une sphère très-bornée.

Je passerai en revue quelques-unes des preuves que M. Raynouard allègue en faveur de l'ancienneté de la langue romane, et de son identité primitive dans toutes les provinces de l'empire occidental.

« Notre historien Aimoin rapporte un fait bien << plus difficile à expliquer :

«

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<< Justinien, dit-il, devient empereur. Aussitôt il rassemble une armée contre les barbares; il part,

leur livre bataille, les met en fuite, et il a le << plaisir de faire leur roi prisonnier; l'ayant fait

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asseoir à côté de lui sur un trône, il lui commande de restituer les provinces enlevées à l'em

« pire. Leroi répond: jene les donnerai point: NON,

«

INQUIT, DABO; à quoi Justinien réplique : tu les « donneras, DARAS 26. »

Si ce fait étoit bien attesté, il prouveroit que la langue romane existoit dès le temps de Justinien, avec tous ses idiotismes, et notamment avec la formation singulière du futur que nous avons expliquée plus haut. Mais quelle autorité peut avoir ce qu'un auteur franc, du dixième siècle, rapporte d'un empereur byzantin du sixième? Le récit d'Aimoin est apocryphe, et ne prouve que l'ignorance de l'historien, qui se figuroit l'empire oriental et l'empereur Justinien, d'après l'image de son pays et de son temps. La langue de communication générale dans l'empire byzantin étoit le grec; c'étoit aussi la langue de la cour, quoique dans les actes publics on eût conservé l'emploi du latin. S'il existoit alors une langue romane, ce que je ne crois pas, Justinien n'avoit aucun motif pour l'apprendre. Ce qu'il y a de plus étrange encore dans le récit d'Aimoin, c'est que le roi barbare (le grand monarque de Perse Nouchirvan, si l'histoire étoit vraie) parle en latin régulier, et que l'empereur lui répond en langue vulgaire. On voit que toute cette anecdote a été inventée en faveur de la puérile étymologie du nom de Dara, place frontière voisine de Nisibis, érigée en forteresse par l'empereur Anastase, et non pas par Justinien.

« Vers la fin du sixième siècle, Commentiolus, « général de l'empereur Maurice, faisoit la guerre contre Chagan, roi des Huns. L'armée de Commentiolus étant en marche pendant la nuit, tout« à-coup un mulet renversa sa charge. Le soldat à « qui appartenoit ce bagage étoit déjà très-éloigné;

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