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les peuples conquérans avoient tout de suite abandonné leur langue. Mais comme ils ont, pendant nombre de siècles, continué de parler les deux langues, il seroit étrange qu'ils n'eussent pas fait passer les locutions de l'une dans l'autre.

Cette influence des barbares sur la formation des nouvelles langues est encore visible dans l'oubli total où sont tombés plusieurs mots latins. Les Romains avoient été anciennement un peuple très-belliqueux; cependant le nom latin de la guerre, BELLUM, n'a pu survivre à la chute de l'empire. Les dérivés, belliqueux, belligérant, ont été introduits dans les temps modernes par imitation des auteurs latins. Mais dans les langues populaires le nom barbare guerra 21, guerre, est seul resté, parce qu'alors les conquérans de race germanique faisoient exclusivement le métier des armes. Cet exemple entre mille montre combien l'étymologie est significative pour l'histoire des nations..

M. Raynouard suppose que quelques parties du verbe roman aver, avoir, nommément le singulier du présent, ai, as, a, et la première personne du prétérit simple, aig ou aic, n'ont pas été pris du latin, mais du verbe gothique AIGAN. Lesavant étymologiste suédois, Ihre, avoit déjà fait la même conjecture 22. Je ne saurois être de l'avis de ces deux savans. On trouve dans les manuscrits quelquefois l'aspiration du verbe latin, ha, il a. A la place de aig, j'eus, on a dit aussi agui, ce qui vient manifestement de habui. Les lettres Get csont introduites en roman assez arbitrairement dans des verbes où elles ne sont point radicales; par exemple: cug, je pense, de cuidar; aug, j'ouis, de auzir, etc. Aguès, j'eusse, est formé de habuissem, de la même manière que tenguès de tenuissem. Ai n'est pas plus différent de HABEO, que fai de FACIO, sai de SAPIO, vei de VIDEO, dei de DEBEO. Les mots qui étoient d'un très-fréquent usage, ont subi les plus grandes altérations. Par la même raison, plusieurs noms de saints ont été étrangement défigurés, parce qu'ils étoient constamment dans la bouche du peuple. Beaucoup de particules et de pronoms ont aussi été altérés et contractés d'une manière étonnante. Qui reconnoîtroit encore dans le mot françois même le SEMETIPSE latin, dont M. Raynouard le dérive avec de fort bonnes preuves? Ces mots, qui reviennent sans cesse dans le langage populaire, ressemblent à la petite monnoie d'argent: elle perd son empreinte à force de passer d'une main à l'autre, tandis que les gros écus la conservent. Cependant dans les langues primitives et restées pures, quand même elles ne sont pas fixées par l'écriture, ces altérations sont moindres, parce que les nations qui parlent ces langues en ont un certain tact étymologique, et n'ôtent pas volontiers aux mots leurs lettres caractéristiques; mais, dans l'origine des langues mixtes, ce tact étymologique se perd, et les altérations deviennent fort capricieuses. Ceci nous explique en partie comment des langues si douces ont pu se former du latin dont les désinences en consonnes sont assez dures, et de l'ancien théotisque, qui avoit des désinences sonores, mais beaucoup d'âpreté dans le concours des consonnes, et plus encore dans les aspirations. On ne tenoit pas à une parfaite ressemblance avec les langues mères, qu'on oublioit graduellement de part et d'autre, et l'on avoit d'autant plus de latitude pour éviter tout ce qui étoit pénible à prononcer. Sous un ciel favorable au sentiment musical, tel que celui d'Italie, il en est résulté des soins délicats d'euphonie que peu de langues ont égalés.

En exposant la formation des substantifs et adjectifs romans, M. Raynouard veut les dériver de l'accusatif latin. Je n'en vois pas la raison : il me paroît difficile de prouver que caritat vient plutôt de CARITATEM que de CARITATE. Les langues dérivées du latin ont suivi différentes analogies à cet égard. Toutes, excepté le françois, ont conservé le nominatif singulier des féminins en A: l'italien forme le pluriel de ces mêmes féminins et des noms de la seconde déclinaison, du nominatif latin : le rose, de ROSE; i venti, de VENTI, etc.; l'espagnol, au contraire, a conservé l'accusatif; la langue romane a fait de même à l'égard des féminins, rosas, donnas. Mais il est incontestable que, dans l'italien, la plupart des mots de la troisième déclinaison au singulier sont formés de l'ablatif latin; vergine, par exemple, est l'ablatif latin VIRGINE en autant de lettres. M. Raynouard le nie en conséquence d'une thèse plus générale que je vais examiner tout-à-l'heure. A l'égard des substantifs latins dont le nominatif est irrégulier, et qui s'accroissent d'une syllabe dans les cas obliques, toutes les langues dérivées du latin ont donné la préférence à un cas oblique quelconque. Et pourquoi? parce que tous les cas obliques pris ensemble étant d'un usage plus fréquent que le nominatif, la forme du substantif commune à tous ces cas s'étoit mieux imprimée dans la mémoire de ceux qui ne savoient pas le latin d'une manière savante. Puisque nous voyons par les diplomes qu'à cette époque, même en s'efforçant d'écrire le latin régulier, on employoit les cas à tort et à travers, disons que le peuple, qui parloit la langue vulgaire, ne savoit pas trop exactement quel cas latin en particulier il tronquoit en rejetant les finales.

M. Raynouard emploie le nom de langue romane d'une manière générale et absolue. Il n'en admet qu'une seule. Il soutient que, lors de l'altération du latin, cette langue, telle qu'il nous la fait connoître, a été parlée d'abord dans toute l'étendue de l'empire occidental, et que ce n'est que plusieurs siècles après cette époque que, dans les différentes provinces, l'italien, l'espagnol, le portugais et le françois ont commencé à prendre leur caractère particulier. Il considère done la langue romane comme un intermédiaire entre le latin et les diverses langues modernes qui en dérivent. Je l'avoue, à cet égard ses argumens ne m'ont pas convaincu.

Arrêtons-nous d'abord à ce nom de langue romane. M. Raynouard en donne une grammaire; M. Roquefort a publié un glossaire qui porte également pour titre : Glossaire de la langue romane. J'ouvre les deux livres, et je vois qu'il s'agit d'idiomes essentiellement différens: la grammaire se rapporte à la langue des Troubadours; le glossaire, au vieux françois parlé, au nord de la Loire seulement, pendant les douzième, treizième et quatorzième siècles. Lequel de ces deux savans a donc eu tort ou

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