« qu'à Fulde dans la Hesse, au tombeau de sainte Le malade obtint sa guérison; un prêtre l'in « terrogea, et l'Espagnol lui répondit. « Comment purent-ils s'entendre ? « C'est, dit l'historien contemporain, que le « prêtre, parce qu'il étoit Italien, connoissoit la « langue de l'Espagnol: Quoniam linguæ ejus, « eo quod esset Italus, notitiam habebat. » Cela prouve-t-il que le dialecte du pélerin espagnol et celui du prêtre italien fussent absolument les mêmes? Nullement. Un Espagnol et un Italien parviennent encore aujourd'hui à s'entendre passablement sans interprète; à plus forte raison, ils le pouvoient alors, quand les langues vulgaires des deux pays étoient beaucoup plus rapprochées du latin. Je le répète, M. Raynouard a fort bien prouvé l'ancienneté des dialectes romans, mais non pas leur identité dans les diverses provinces. Il faut convenir cependant que la langue dont il s'occupe et qu'il veut représenter comme universelle, a eu jadis un territoire bien plus étendu qu'aujourd'hui, non seulement dans le nord de la France, mais aussi dans plusieurs parties de l'Espagne et peut-être de 1 l'Italie 30. Le provençal, le limousin, le catalan, formoient un seul dialecte central dans l'Europe latine. Depuis que ce dialecte a été condamné à n'être plus qu'un patois, les langues dominantes qui l'environnent, le françois, l'italien et l'espagnol ont dû constamment gagner du terrain, soit en remplaçant l'ancien langage du pays, soit en l'altérant. L'ascendant du castillan est très-visible dans les écrivains catalans modernes, par exemple dans les poésies d'Ausias March. M. Favre, savant Genevois, a communiqué à M. Raynouard les manuscrits théologiques vaudois du Piémont, conservés à la bibliothèque de Genève, et ces manuscrits du douzième siècle sont en provençal pur. Mais ces poésies religieuses ont-elles été composées dans le Piémont même, comme paroît l'admettre M. Raynouard, ou furent - elles transmises aux Vaudois par les Albigeois? C'est une question historique à éclaircir. Dans l'Europe latine, quatre langues sont aujourd'hui littérairement cultivées: l'italien, l'espagnol, le portugais et le françois; une cinquième, le provençal, l'a été jadis. Outre ces langues, il existe, en deçà et au delà des Alpes et des Pyrénées, une variété infinie de dialectes et de patois, dont quelques-uns ont fourni des essais poétiques, mais dont la plupart n'ont jamais été écrits, et ne peuvent ètre appris que sur les lieux où ils sont indigènes. Après treize siècles révolus depuis la chute de l'empire occidental, ces idiomes divers ont encore conservé une affinité étonnante, parce qu'ils ont été formés partout à peu près avec les mêmes matériaux, et d'après une méthode analogue. Mais la conformité a dû être plus grande dans les premiers temps, puisque les variations ont été produites par des causes locales, dont l'action s'est accumulée avec les siècles. On ne s'étonne point de voir les dialectes passer par gradations nuancées les uns dans les autres; mais quelquefois la ligne de démarcation est tranchée: en Italie surtout on trouve souvent un jargon informe tout à côté d'un langage élégant. Cela est difficile à expliquer, faute de données historiques suffisantes: nous ignorons avec quel degré de pureté le latin se parloit dans les différentes provinces de l'empire, dans quelle proportion la masse des conquérans barbares s'est distribuée dans le pays, et à quel point ils ont vécu séparés, ou entremêlés avec les anciens habitans 31. D'ailleurs les conquérans germaniques ne sont pas les seuls étrangers survenus. Pendant le déclin de l'empire romain, beaucoup de colonies de différentes nations y ont été établies, pour repeupler des contrées devenues désertes par l'effet des invasions 32. D'autres colonies ont été admises depuis la conquête. Constantin-le-Grand établit dans les provinces de l'empire 300,000 Sarmates réfugiés auprès de lui, dont une partie cultivoit du temps d'Ausone des champs aux environs de Saverne en Alsace. Un village du Poitou, Tifauge, conserve le nom des Taifaliens, peuple probablement tartare, venu du fond de l'Asie. Childebert III a fait une ordonnance relativement aux Saxons qui venoient à la foire de Saint-Denis. Ces Saxons demeuroient aux environs de Bayeux et de Nantes. Un prince lombard de Bénévent a reçu une colonie de 60,000 Bulgares dans sa principauté. La population des pays de l'Europe latine est infiniment plus mélangée, la généalogie des nations infiniment plus compliquée, qu'on ne l'imagine d'ordinaire. Les différences des langues dérivées du latin peuvent se réduire à quelques points principaux : l'altération des sons, les formes grammaticales, le choix des mots latins, latins-barbares, théotisques et autres qui sont restés en usage, enfin la manière dont les mots tirés du latin classique ont été détournés de leur sens primitif. Rien de tout cela n'est dû au hasard; et si l'on savoit assigner à ces variations leurs véritables causes, nous connoîtrions l'histoire des peuples, leur vie privée dans les temps passés, bien autrement que les livres d'histoire ne peuvent nous l'apprendre. L'altération des consonnes et des voyelles dont se composent les mots latins, tient en grande partie à la prononciation, et la prononciation est soumise aux influences climatiques. Ces influences se conçoivent fort bien en théorie, mais elles nous échappent quand nous essayons de les détailler. On sait que les montagnards ont, en général, un accent plus rude que les habitans des plaines et des côtes. Mais comment expliquer, par exemple, les ressemblances que le dialecte de Gènes offre avec le portugais, et qu'on ne sauroit attribuer assurément ni à la communication des peuples ni à l'imitation réciproque? Ce qui fait contraster davantage entre elles les langues latines mixtes, c'est précisément le matériel des mots: le choix et la combinaison des consonnes et des voyelles qui souvent paroissent être les mêmes dans l'écriture, et diffèrent pourtant à l'oreille; la prédilection pour certains sons, la prosodie et l'accent. Les analogies dans tout le reste sont d'autant plus surprenantes que, depuis le renversement de l'empire romain, l'Europe occidentale et méridionale n'a jamais formé une seule monarchie; qu'elle a été, au contraire, morcelée en une quan |