finir les sons qu'expriment les lettres, soit simples, soit composées, est d'indiquer leurs équivalens dans plusieurs autres langues dont la prononciation est connue. Les lecteurs de la grammaire romane, aussi bien les étrangers, que les François des provinces septentrionales qui n'ont point séjourné dans le midi, pourroient être induits en erreur en jugeant la prononciation du provençal d'après celle du françois moderne. M. Raynouard rapporte en partie les variations de l'orthographe dans les manuscrits des Troubadours, aux diversités de la prononciation, qu'il suppose avoir eu lieu dans les différentes provinces. J'objecte à cela que ces manières différentes d'écrire le même mot se rencontrent souvent non seulement dans le même manuscrit, mais aussi dans la même pièce de vers. Je distingue deux espèces de variations dans l'orthographe. Quelques-unes marquent en effet des prononciations différentes; je crois cependant que ces différences n'étoient pas locales, mais admises partout où l'on parloit la même langue, et je les attribue à cette fluctuation dans les formes du provençal, dont je viens de parler. Ainsi, le même poète disoit tantôt chantar et tantôt cantar, tantôt douz et tantôt dolz, se rapprochant ainsi à volonté du françois ou des langues méridionales, : et cette latitude se comprend par la position centrale du provençal et par son manque de fixité. D'autres irrégularités de l'orthographe ne sont que des essais variés d'exprimer le même son. Dans l'origine des idiomes romans, le mélange des nations avoit introduit des consonnes, des voyelles et des diphthongues, étrangères au latin classique. L'alphabet romain, adapté à ces idiomes, se trouva donc défectueux: il fallut recourir à des combinaisons pour suppléer à sa pauvreté. De là vient que, dans chacune des langues dérivées du latin, depuis que leur orthographe est fixée, le même son est souvent exprimé d'une manière différente (par exemple, le L mouillé, en françois par ill, en italien par gli, en espagnol simplement par ll, en portugais par th; le n mouillé, en françois et en italien par gn, en espagnol par n', en portugais par nh). Dans le moyen âge, il n'existoit point encore de méthode, et le copiste provençal écrivoit à son gré salvaie, salvage, salvatie, salvatge : c'étoit cependant toujours le même son, c'est-à-dire le ge prononcé à l'italienne, et redoublé entre deux voyelles, comme dans selvaggio. En conséquence de cette observation, je pense qu'on pourroit se permettre de régler l'orthographe des Troubadours, c'est-à-dire de choisir parmi les variations des manuscrits une seule manière d'écrire les mêmes mots et les mêmes sons, en préférant celle qui rappelle le mieux l'étymologie. Je pense aussi qu'on pourroit employer avec avantage les accens, soit pour diriger la prononciation, soit pour distinguer les homonymes. Une seule petite marque orthographique que M. Raynouard admet, l'apostrophe, devient un moyen prodigieux de clarté dans une langue remplie d'élisions. M. Raynouard a trouvé des inconvéniens à s'écarter davantage des manuscrits, et il en est meilleur juge que moi; mais nous sommes d'accord au moins sur la nécessité d'une grande exactitude dans ces détails en apparence minutieux. Un texte original perd toute sa valeur avec son authenticité. Pour faire avancer la philologie du moyen âge, il faut y appliquer les principes de la philologie classique. Les nombreuses citations de vers provençaux dans la grammaire de M. Raynouard font voir ce qu'on peut se promettre de son édition des Troubadours sous le rapport de la correction: jusqu'ici, presque tous ceux qui se sont mêlés d'imprimer des morceaux et des fragmens de poésie provençale, Jean de Notre - Dame, Tassoni, Crescimbeni, les ont défigurés en cumulant les fautes des manuscrits et leurs propres erreurs; et les littérateurs modernes, au lieu de corriger leurs prédécesseurs, ont renchéri sur eux à cet égard. M. Raynouard a consulté les meilleurs manuscrits existans; il en a comparé plusieurs qui contiennent les mêmes pièces; et, lorsque tous ces manuscrits s'accordent dans une fausse leçon, il est en mesure d'y suppléer par des émendations. M. Raynouard accompagne les phrases citées, soit en vers, soit en prose, d'une traduction littérale. Le françois ne se prête guère à ce genre de traductions, et je crains bien que les lecteurs ne trouvent quelquefois celles de M. Raynouard obscures à force de fidélité. Toutefois elles sont exactes 36, et l'auteur s'y montre aussi bon interprète qu'il est habile restaurateur du texte. Il faut ajourner les recherches générales sur la littérature des Troubadours jusqu'au moment où l'édition de M. Raynouard les aura rendus accessibles au public. J'indiquerai seulement quelques points sur lesquels l'attention pourra se diriger alors. La versification des poésies provençales mérite d'être examinée à fond. Elle est importante pour la théorie de cet art, à cause de ses singularités et des raffinemens dans l'emploi des rimes, dans leur entrelacement, dans leur continuité ou leur retour après de longs intervalles. Parmi les littérateurs modernes, M. Ginguené est le seul qui se soit donné quelque peine pour en connoître les règles. Mais ce savant estimable n'y a pas trop bien réussi : il paroît avoir mal compté les syllabes des vers. La versification provençale participe au système qui depuis a prévalu en France, mais sous quelques rapports elle se rapproche de la versification italienne. Les Troubadours ont rarement fait usage du vers alexandrin; ils se sont arrêtés d'ordinaire au vers de dix syllabes, ou de onze, en comptant la rime féminine. Ce vers est devenu la mesure héroïque dės Italiens, à l'exclusion de l'alexandrin. La raison en est évidente. L'italien a la faculté de fondre en une seule syllabe, sans élision, la voyelle finale et la voyelle ou même la diphthongue initiale du mot suivant. Loin d'éviter cela, on le recherche dans la poésie italienne comme une beauté. Cessyllabes, doublées par le concours des voyelles, rendent les vers plus serrés et plus sonores, et donnent au rhythine une vibration vigoureuse. Dans les vers provençaux, la fréquence des syllabes accentuées et la grande liberté de contraction produisent un effet semblable. En françois, l'élision se borne à l'e muet; il est inévitable d'élever souvent cette voyelle, qui à peine en est une, au rang d'une syllabe : ainsi l'on a trouvé que les vers de dix syllabes n'avoient pas assez |