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plus inconcevable, et vous avez créé une difficulté au lieu d'en résoudre une. Tous les peuples bien doués ont eu le besoin et le goût de la poésie; elle s'est développée partout où les circonstances ont été propices. Passe encore de recourir aux étrangers pour les arts du dessin; mais la poésie tient de plus près aux impressions intimes que produit la langue maternelle; elle est toujours nulle et factice, quand elle n'est pas nationale.

M. Raynouard a retrouvé un poëme en langue romane, reconnu pour antérieur à l'an 1000, aussi bien par le langage que par les caractères du manuscrit. Le sujet de ce poëme sur Boèce est tiré d'un livre latin et traité dans un esprit religieux; il est écrit en vers rimés de dix syllabes: on y trouve donc déjà la même mesure, qui devint ensuite dominante dans l'Europe méridionale. Cette découverte donne le coup de grâce à l'hypothèse arabe du père Andrès; car il fixe l'ère de la poésie provençale à la prise de Tolède en 1085, où, selon lui, des chevaliers du midi de France auroient appris à connoître la poésie des Maures.

Il paroît que ce savant n'est pas aussi fier que l'étoit Sancho Panza de sa qualité de vieux chrétien, puisqu'il considère les Maures comme ses compatriotes, et qu'il veut les ériger en maîtres des Espagnols

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dans la poésie comme dans tout le reste. Il n'entre pas dans mon sujet de réfuter en détail ce qu'il dit làdessus 40. Je remarquerai seulement qu'il n'y a rien d'aussi anti-arabe que le plus ancien poëme espagnol, celui du Cid : c'est une épopée toute chrétienne et chevaleresque. La romance espagnole est en effet une imitation des chants du peuple maure; mais elle est comparativement bien moderne: son origine ne remonte peut-être guère au-delà de la conquête du royaume de Grenade.

Voici une autre question, particulièrement intéressante pour mes compatriotes: nos Minnesinger ont-ils imité les Troubadours ou non? On pourra en décider quand les œuvres de ceux - сі seront connues; celles de nos poètes du moyen âge sont imprimées depuis long-temps. Les Troubadours ont pour eux l'ancienneté, puisque ce genre de poésie n'a commencé chez nous que sous Frédéric-Barberousse. Cependant je n'ai rien vu dans nos poètes qui annonçât l'imitation, et je pense que des impulsions pareilles ont produit des phénomènes analogues. Les poètes des deux pays s'accordent à mettre un grand artifice dans l'emploi des rimes et l'ordonnance des strophes; néanmoins la versification des nôtres suit d'autres règles que celle des Troubadours. L'amour, le culte des femmes, le printemps, le chant des rossignols, les fleurs, quelquefois la chevalerie et la guerre, sont les sujets communs à tous les deux; mais un autre caractère domine dans l'expression des mêmes sentimens. Le parallèle des Troubadours avec les chantres d'amour, leurs contemporains en Allemagne, pourroit être fait d'une manière piquante.

Lorsque je soutiens l'originalité de notre poésie du moyen âge, je ne veux parler que du genre lyrique. Les romans françois de chevalerie ont eu un grand succès sur l'autre rive du Rhin: ils ont été imités plus ou moins librement par nos poètes du treizième siècle. Mais, à côté de ces fictions étrangères, nous avons en abondance des poésies héroïques indigènes, fondées sur les plus anciennes traditions nationales.

L'on cite par mi les protecteurs des Troubadours l'empereur Frédéric-Barberousse. Jean de NotreDame lui attribue un couplet en langue provençale. M. Ginguené reproche à Voltaire de s'être trompé en donnant Frédéric II pour auteur de ces vers: je crois, au contraire, que Voltaire a rectifié une èrreur. Nous n'avons pas d'autres garans de ce petit fait que les anciens biographes des Troubadours, auteurs du quatorzième siècle, dont les récits ne sont que trop souvent suspects. Si ce couplet, assez insignifiant, est en effet d'un empereur allemand, il ne peut avoir été fait que par Frédéric II. FrédéricBarberousse ne savoit qu'imparfaitement la langue romane, et il ne l'aimoit pas; ; d'ailleurs, ces vers ne sont pas dans son caractère. Mais Frédéric II étoit né en Sicile; il a passé sa vie dans les pays de langue romane, et il accueilloit tous les divertissemens favoris de son siècle. Au reste, les princes de la maison de Hohenstaufen, quoiqu'ils régnassent en Italie, ont toujours conservé de la prédilection pour leur langue maternelle. Nous avons des chansons d'amour composées en allemand par l'empereur Henri VI et par l'infortuné Conradin. Mainfroi, fils naturel de Frédéric II, étoit tellement passionné pour la poésie nationale, qu'au fond de l'Italie et à la veille d'ètre attaqué par Charles d'Anjou, il avoit son camp rempli de ménétriers et de poètes allemands, dont les chants amoureux contrastoient avec le bruit des armes et la trompette guerrière.

Les recueils publiés par M. Raynouard donneront matière à des recherches sur la littérature provençale perdue. Il est certain que ce qui nous en reste n'est que la moindre partie. Jean de Notre-Dame fait mention de beaucoup d'ouvrages des Troubadours, d'après leurs anciens biographes; mais, dans cette énumération, je ne vois point de romans de chevalerie; car il paroît que le récit des amours d'André de France, composé par Pons de Brueil, n'en étoit pas un. L'histoire de cet homme, devenu éperdument amoureux de la reine de France, qu'il n'avoit jamais vue, doit avoir été plutôt un roman dans l'acception moderne de ce mot; la peinture d'une passion malheureuse sans mélange d'aventures chevaleresques. Cependant il y a eu des romans de chevalerie en langue provençale. On en connoît encore trois aujourd'hui : le roman de Jaufre et celui de Gerard de Roussillon, en vers, et Philomena, en prose. D'après un passage du Dante, il paroîtroit qu'Arnaud Daniel avoit composé des romans:

Versi d'amore, e prose di romanzi
Soverchiò tutti.

Toutefois, il se pourroit que le Dante eût compris sous la dénomination de romans, tous les écrits quelconques composés en langue vulgaire. Les Troubadours font souvent allusion aux fictions chevaleresques: mais il ne s'ensuit pas qu'ils les aient lues ou entendu réciter dans leur langue; ils pouvoient les connoître par les originaux françois. Je crois cependant que la plupart des romans de chevalerie, composés d'abord en françois, ont été traduits ou imités en langue provençale. Dans un fameux passage de

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